dimanche 12 juillet 2009

EPISODE 30 : LE DERNIER CHAPITRE : LA RESURRECTION DES LEODIENSIS (Partie 1)

Liège. Office de Police. Lundi 9 mars. 9 heures 12.

Le commissaire Charlier est au téléphone. A l'autre bout du fil, le responsable du Service des Traces et Documents du Laboratoire de police scientifique.

Charlier : Vous en êtes sûr ?
Responsable : Pas tout à fait. C'est la raison pour laquelle nous continuons notre investigation au Service Biologie.
Charlier : Quand aurons-nous la réponse ?
Responsable : Il faudra patienter jusque lundi ou mardi de la semaine prochaine, le temps d'analyser les cellules de peau.
Charlier : Bien. Dans ce cas, il ne nous reste plus qu'à attendre...
Responsable : Nous ferons tout notre possible pour que le délai soit respecté. Mais il serait préjudiciable d'alerter les enquêteurs maintenant. Nous n'avons aucune preuve tangible contre Patrick Lanvin.
Charlier : Ca, j'en fais mon affaire. J'attends votre rapport mardi prochain au plus tard.
Responsable : Sans problème mais... Soyez sur vos gardes concernant Patrick Lanvin.
Charlier : Je sais ce que j'ai à faire. Je vous souhaite une bonne journée. A mardi...
Responsable : De même. A mardi...

La caméra opère un travelling avant lent sur le visage réjoui du commissaire Charlier, posant délicatement son cornet sur le téléphone fixe.

Scène suivante.

La porte du bureau de Marc Lejeune s'ouvre brusquement. Le commissaire Charlier interpelle le jeune homme.

Charlier : Marc, nous le tenons !
Marc : Pardon ?
Charlier : Votre homme, nous le tenons !
Marc : Mais de qui parlez-vous, commissaire ?
Charlier : Les lettres... Les lettres de menace que vous et vos amis reçoivent depuis novembre dernier, c'est lui ! (Le commissaire présente alors une photographie couleurs de son suspect, Patrick Lanvin).
Marc (se saisissant du portrait) : Qui est cet homme ?
Charlier : Il s'appelle Patrick Lanvin. Il a trente-sept ans. Il a été condamné une fois pour agressions sexuelles sur de jeunes femmes. Il avait à peine dix-neuf ans à l'époque des faits.
Marc : Attendez... Comment ce...
Charlier : Votre amie Mélanie, elle avait vingt ans, n'est-ce pas ? Et Laura ? Quel âge avait-elle ?
Marc : Dans la vingtaine aussi...
Charlier : C'est lui, j'en suis quasiment sûr.
Marc : D'où vient ce type ?
Charlier : Il a son domicile à Tilff.
Marc : Je... Je ne suis pas sûr que...
Charlier : Ses rares victimes avaient toutes moins de vingt-cinq ans. Les analyses des empreintes digitales ont confirmé qu'il s'agissait bien de lui. Elles doivent encore être confirmées par une analyse ADN. Nous aurons les résultats mardi prochain au plus tard.
Marc (dubitatif) : Le labo a pu déceler des empreintes ? Mais...
Charlier : Oui, oui ! On a découvert deux empreintes.
Marc : Les analyses n'ont confirmé qu'un seul résultat probant ?
Charlier : Non. Il y aurait un autre homme mais il est décédé en 1987. Cette piste est donc abandonnée.
Marc : Attendez, comment s'appelait-il ?
Charlier : Je... Je ne sais plus... Mmmmh disons, quelque chose comme « Wakmann » ? Non attendez... (Moment de réflexion) Hartmann, je crois ! Oui, c'est ça, Hartmann !
Marc : Où vivait-il ?
Charlier : D'après le labo, il était allemand. Il ne résidait pas en Belgique. Mais ça n'a aucune importance. L'essentiel, nous l'avons : Patrick Lanvin !
Marc : Mais... Enfin, vous êtes sûr que ce type pourrait être le destinateur de toutes ces lettres ? Pourquoi aurait-il fait ça ?
Charlier : Marc, je sais que vous cherchez à tout prix à connaître la vérité. Moi aussi, je cherche cette vérité ! N'oubliez pas que vos collègues ont reçu plusieurs lettres de menace. Nous allons tout mettre en oeuvre pour réussir cette enquête.
Marc : Pourquoi ce Patrick Lanvin s'en serait-il pris à nous ? Pourquoi aurait-il fait ça ?
Charlier : Ca, je n'en ai aucun idée. Mais... Je sais comment m'y prendre pour le savoir...


Liège. Boulevard Frère-Orban. Appartement de Jessica. Vendredi 6 mars. 19 heures 14.

Le document est étendu sur la table du salon. Il représente un arbre généalogique. Des dizaines de rectangles encadrés de lignes végétales y mettent en valeur des noms affublés de particules nobiliaires. Intrigué, Pierre scrute cet arbre maintenu sous la garde d'un impressionnant blason à la couronne d'or.

Pierre : Ce sont tes ancêtres ?
Jessica : Oui, ce sont mes ancêtres.

Pierre se tourne vers Jessica, le regard dubitatif.

Pierre : Tes ancêtres ? Mais tu ne m'as jamais parlé d'eux, je...
Jessica : Je sais. Mais maintenant, je le fais.

Tel un archiviste averti, Pierre caresse de ses yeux conquis la rigueur de ces graphies : lettrines, entrelacs, ligatures et courbes florales façonnent cette ouvrage généalogique digne des plus grands héraldistes.

Jessica : Tu t'intéresses à la généalogie ?
Pierre : Je ne suis pas un passionné mais là, j'avoue que ce document m'interpelle. Qui a réalisé cet arbre généalogique ?
Jessica : La signature se trouve au bas du document, à droite.
Pierre (en lisant) : « Johanus Leodiensis, 1774 ». Tu pourrais m'en dire plus, Jessica ?
Jessica : Johanus est l'un de mes ancêtres. Il a réalisé lui-même toute la généalogie. Johanus est décédé en 1775. Personne dans la famille n'a repris les recherches. Et puis... Et puis il y a eu la révolution de 1789. Tous les registres paroissiaux qui contenaient les précieux renseignements ayant servi à l'élaboration des généalogies ont été brûlés. La Principauté de Liège n'a pas échappé au massacre de ces documents. Nous avons eu de la chance car nous avons pu conserver cette source. Mais d'autres familles n'ont jamais eu l'occasion d'achever l'établissement de leur ascendance.
Pierre : Une chose m'échappe, Jessica.
Jessica : Laquelle ?
Pierre : Ton nom de famille... « Milano », c'est italien...
Jessica (hésitante) : Je... Enfin, comment dire ? Nous avons des ancêtres en Italie.
Pierre : Des « Milano ».
Jessica (confuse) : Oui, c'est ça : des « Milano ».
Pierre : Pourquoi me montres-tu ce document, Jessica ?
Jessica : J'avais envie de te montrer ce qui, sans doute, est le plus cher à mes yeux : ma famille, mes ancêtres.
Pierre : Je comprends. Et puis... Tout le monde n'a pas la chance d'avoir une vue aussi claire, aussi détaillée, de son ascendance.
Jessica : En effet. Les racines sont importantes. Chacun de nous porte en lui l'histoire de ses ancêtres. Notre famille détermine souvent notre destin, et nous n'en avons pas toujours conscience. (Moment de silence) Pierre... J'ai quelque chose à te dire.
Pierre : Oui ?
Jessica : T'intéresses-tu à l'Histoire de Liège ?
Pierre : Heu, pas vraiment. Je sais juste qu'il y a eu une Principauté. J'ai déjà entendu parler de saint Lambert, des princes-évêques Notger et Erard de la Marck mais sans plus...
Jessica : Je voudrais que tu gardes ça pour toi et que ma révélation ne sorte pas de ces murs. Cet arbre généalogique est celui d'une famille qui aurait dû se retrouver à la tête de Liège.
Pierre : Que veux-tu dire par là ?
Jessica (moment d'hésitation) : Pierre... Je suis la descendante d'une famille princière.
Pierre : Pardon ?
Jessica : Je suis la descendante d'une famille princière. Le frère aîné de Johanus Leodiensis, Johanus Maximus, dit « Jehan le Grand », a rédigé un ouvrage à la fin du XVIIIe (18e) siècle sur l'Histoire de ma famille. Il y raconte que... Que mes ancêtres auraient été déchus au IXe (9e) siècle. Au départ, ils devaient constituer un royaume mais l'Empire germanique avait refusé l'élaboration d'un tel projet politique. Des débats agités eurent lieu entre mes ancêtres et l'empereur Otton Ier. Celui-ci refusa catégoriquement la naissance du « Royaume de Liège » car il pensait que les Leodiensis allaient rapidement lui faire de l'ombre. La Principauté de Liège s'est alors mise en place avec Notger, le premier prince-évêque de Liège en 972. Il avait élu par l'empereur, qui souhaitait maintenir son influence sur la Principauté, considérée toutefois comme indépendante. Notger ignorait l'existence des Leodiensis. Il n'était pas originaire de Liège et personne, dans ses connaissances, ne lui avait évoqué notre famille. Il résidait à Saint-Gall, en Suisse. Avant son arrivée à Liège, des dignitaires de l'Empire avaient ordonné que les Leodiensis soient brûlés. Certains membres de ma famille ont échappé à cette condamnation. Les survivants ne sont autres que mes ancêtres, ceux que tu vois sur cet arbre généalogique.
Pierre (saisi par la révélation) : Attends... Attends une minute, tu me fais marcher, là ! Avoue !
Jessica : Non, je te jure que c'est vrai !
Pierre : Mais... Enfin... Qui t'a raconté tout ça ?
Jessica : Le livre... Mon ami Lionel, qui est aussi mon cousin sous-germain, m'a révélé cette information grâce à la découverte du fameux livre de Jehan Maximus.
Pierre : Mais les Leodiensis... Ils sont...
Jessica : « Leodiensis » est un génitif latin. Ce nom signifie que nous sommes... Les premiers habitants de Liège. Mes ancêtres ont donc créé Liège.
Pierre : Et bien dis donc... Je ne m'endormirai pas idiot ce soir ! Mais ils n'ont jamais cherché à instaurer leur royaume avant l'apparition de l'Empire germanique ?
Jessica : Ils ont toujours été des boucs émissaires, notamment d'un certain... Charlemagne, qui a eu bien entendu les pleins pouvoirs sur Liège grâce à son empire.
Pierre : Je comprends...
Jessica : J'imagine que tout ce que je te raconte doit te déstabiliser.
Pierre : Comment ne pas l'être, Jessica ? Comment ne pas l'être...
Jessica : J'aimerais que cette révélation reste entre nous. Je peux te faire confiance ?
Pierre : Tu as ma parole. Mais aujourd'hui, tout ceci a-t-il encore de l'importance ?
Jessica : Bien sûr que non. A la fin du XVIIIe siècle, la Principauté de Liège a dû laisser sa place à un nouveau type de pouvoir : la République. La France républicaine a pris possession de nos terres dans les années 1790. Si Liège avait été un royaume, elle aurait fini par succomber elle aussi à l'autorité française, au même titre que la Principauté. Notre famille est une famille parmi tant d'autres. Nous faisons partie de la masse depuis longtemps. Trop longtemps même... Mais je ne m'en porte pas plus mal. Tout ceci n'est que du passé.

Devant la grande fenêtre offrant un large panorama sur le fleuve mosan et ses rives tranquilles, Pierre se met à réfléchir. La jeune femme s'approche de lui.

Jessica : A quoi penses-tu ?
Pierre : Rien...
Jessica : Si, tu penses à quelque chose. Dis-moi...
Pierre (hésitant) : Si... Si tu venais à être sélectionnée pour la comédie musicale, je me demande si... (Moment de silence)
Jessica : Si ?
Pierre : Si... Tout ce que tu viens de me révéler ne pourrait pas s'insérer dans un article à ton sujet.
Jessica : Pardon ?
Pierre : Jessica, ces révélations sont fascinantes. Il faudra bien parler de toi à un moment ou un autre, tu comprends ? Tu dois te révéler au grand public, au même titre que n'importe quelle autre artiste de spectacle !
Jessica : Pierre, rien de ce que je t'ai avoué ne doit sortir de mes murs ! Tu viens de me faire une promesse, n'oublie pas ! Personne n'a besoin de savoir d'où je viens. Je t'ai raconté tout cela parce que j'ai confiance en toi. Je ne te connais pas beaucoup, c'est vrai. Mais tu es le premier homme à n'avoir jamais tenté de me toucher, de m'embrasser. C'est tellement rare de nos jours.
Pierre : Arrête, tu exagères. Tu parles de moi comme si j'étais un saint ! Nous ne sommes pas tous à l'affût de rapports intimes ! J'ai admiré ta voix et ta prestance la première fois que je t'ai vue. Alors je me suis dis : « Cette fille mérite d'aller plus loin. »
Jessica (rougissant) : Tu es un coeur...
Pierre : Bon, pardonne-moi mon manque de politesse mais je t'avoue que...
Jessica : Que tu as un petit creux !
Pierre : Exactement !
Jessica : Assieds-toi dans le canapé. Je vais terminer ce que j'ai à faire dans la cuisine. En attendant, j'ai mis quelques amuse-gueule sur la table ; sers-toi, je t'en prie !
Pierre : Merci...

Alors que la jeune femme se dirige vers la cuisine, Pierre saisit une fois de plus le vieux document aux contours usés. La caméra s'approche de son visage... Il lance son regard droit devant lui, comme si une pensée malsaine lui traversait l'esprit....