dimanche 19 juillet 2009

EPISODE 31 : LE DERNIER CHAPITRE : LA RESURRECTION DES LEODIENSIS (Partie 2)

Université de Liège. Institut des Sciences archéologiques. Service de sociologie historique. Vendredi 6 mars. Bureau de Lionel. 10 heures 27.

Lionel : Cette liste me paraît pertinente. Vous avez fait du bon travail, Alicia.
Alicia : Vous comptez écrire une nouvelle étude ?
Lionel : Non, je voudrais juste recouper certaines informations avec le contenu de l'ouvrage dont je vous ai parlé.
Alicia : Malheureusement je n'ai pas découvert le second exemplaire.
Lionel : C'était prévisible. Je ne l'ai pas trouvé non plus mais cela n'a aucune importance.
Alicia : Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas.
Lionel : Merci beaucoup, Alicia. Je ne manquerai pas de vous « ennuyer » encore si c'est nécessaire !
Alicia : Ca ne m'ennuiera jamais...

L'étudiante se lève et se dirige vers la porte. Lionel, les mains enfouies dans les poches de son pantalon de velours côtelé, s'adresse une dernière fois à la jeune fille.

Lionel : Alicia... Si vous avez des difficultés à rédiger votre mémoire, appelez-moi. Voici mon numéro. (Lionel s'avance vers la demoiselle et lui tend une carte de visite.)
Alicia : Merci. A la semaine prochaine.
Lionel : A la semaine.

Lionel se rassied et se met à analyser les intitulés inscrits en lettres italiques sur le document. Son regard passe et repasse devant chaque mot. Les titres et les noms d'auteur se succèdent sous ses yeux curieux. Tout à coup, un livre attire l'attention du chercheur : un essai rédigé par un certain Henry de Sinlambert datant de 1972. « Henry de Sinlambert », étrange similitude nominale avec l'auteur de « L'aristocratie liégeoise », Maxence de Saint-Lambert. Lionel croirait presque avoir affaire à de faux-frères, ces substantifs qui se ressemblent mais diffèrent par leurs significations. Lionel se précipite sur un dictionnaire d'auteurs coincé entre deux atlas ternes et poussiéreux dans sa bibliothèque. Il cherche la lettre « S » ; les noms défilent sous ses doigts lisses et son regard scrute l'arrivée salutaire de ce Sinlambert. Il finit par le trouver, inscrit en gras au milieu d'une page jaunie par le temps. La notice biographique indique que cet intellectuel serait décédé en 1979. Généticien de profession et amateur discipliné de généalogie, il aurait consacré la moitié de son existence à l'écriture de quelques ouvrages sur la noblesse belge. Historien dans l'âme, il ne l'a jamais été au sens académique. Le cercle très fermé des « analystes du passé » l'a d'ailleurs rangé, dès ses premières publications savantes, dans les oubliettes de la pseudo-science historique.

Lionel : Je dois retrouver cet ouvrage...

Scène suivante.

D'un pas pressé, Lionel pousse la porte vitrée du Centre de Documentation archéologique. Devant le détecteur de vol, il passe d'un geste rapide sa carte à puce ; l'appareil émet alors un son aigu bref autorisant son accès. Une barre métallique se lève avant son entrée dans la précieuse salle. Traversant l'allée centrale, le jeune homme se dirige droit vers l'ordinateur de référencement bibliographique. Il s'installe puis commence sa recherche. Le tapotement de ses doigts sur les touches du clavier est rapide et fluide. Sur l'écran, un seul titre apparaît pour sa requête : « La déchéance des Leodiensis » par... Henry de Sinlambert. Celui-ci est signalé au rayon d'Histoire médiévale. Perdu dans les impasses des rayons, le professeur parcourt les étiquettes reprenant les rubriques. Au bas d'une étagère, entre des dizaines de livres aux reliures artisanales, Lionel découvre enfin l'objet de sa curiosité : « La déchéance des Leodiensis » est un épais volume à la couverture poussiéreuse ; à l'intérieur se concentrent plus de six cents pages fines et délicates de textes denses, et autant de dessins représentant des portraits lisses de princes ou de dignitaires ecclésiastiques. Précédant la conclusion, un obscur intitulé de chapitre, « La Résurrection », arrête l'attention de Lionel. La caméra s'approche lentement du visage du jeune homme. Une musique sombre s'emballe. L'intitulé est filmé en gros plan. Lionel a la gorge nouée. Ses mains deviennent moites et son coeur accélère la cadence... Ses yeux inquiets tracent des lignes droites sur la première page du chapitre. Soudain...

Une femme : Avez-vous trouvé ce que vous cherchiez ?
Lionel (surpris par l'interpellation) : Pardon ?
Une femme : Avez-vous trouvé votre ouvrage ?
Lionel (embarrassé) : Que... Quel ouvrage ?
Une femme : Heu... Et bien je suppose que vous cherchiez un ouvrage bien précis...
Lionel (nerveux) : Heu, oui... Oui, oui, j'ai trouvé...
Une femme (décontenancée par la nervosité de Lionel) : Bien. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, n'hésitez pas.
Lionel : Me... Merci.

Tenant fermement son livre contre son torse, il regarde la femme s'éloigner et se dirige d'un pas précipité vers le bureau de prêt situé à l'entrée de la salle...


Centre médical de Liège. Service d'Oncologie pédiatrique. Dimanche 8 mars. 13 heures 42.

La caméra est fixée sur une page de bande dessinée. Théo, le jeune cancéreux dont s'occupe Vanessa, est plongé dans sa lecture quotidienne. Une toux sèche et irritante l'incommode. Ses mains, embarrassées par de fins tuyaux transparents, tournent avec difficulté les pages de son seul livre de chevet.

Vanessa (arrivant dans la chambre) : Bonjour jeune homme !
Théo : Bonjour...
Vanessa : Alors, comment vous portez-vous aujourd'hui ?
Théo : J'ai froid et je tousse tout le temps !
Vanessa : C'est l'effet des médicaments. Ca va passer. Ce soir, ça ira mieux.
Théo : Papa et maman vont bientôt venir ?
Vanessa : Ils seront là dans un quart d'heure.

Vanessa s'assied sur le bord du lit. Un masque protège sa bouche. Ses mains gantées tentent de rassurer celles du petit garçon.

Théo : Tu crois que je vais bientôt sortir ?
Vanessa (la voix camouflée par le masque) : Je... Je ne sais pas, Théo. Il est trop tôt pour en parler. Tu dois encore subir une thérapie avec de nouveaux médicaments dans quelques jours.
Théo : Je m'ennuie ici. Je voudrais retourner à la maison.
Vanessa : Je sais... Sois patient, Théo. Et puis, même si je ne suis pas toujours là, tu sais que je suis ton amie maintenant. Tu peux m'appeler quand tu veux, hein ?

Théo, tournant son regard vers l'unique fenêtre de sa chambre, lance un soupir de désolation.

Vanessa : A quoi tu penses, Théo ?

Théo ne répond pas ; ses yeux sont perdus dans le vide. La lumière du jour traverse la pièce comme une présence réconfortante.

Vanessa : Théo ?
Théo : Je vais mourir mais tu n'oses pas me le dire...
Vanessa (moment de silence) : Ecoute Théo, je te jure que je ne sais pas. Crois-moi...
Théo (moment de réflexion) : A l'école, notre maîtresse nous a parlé de Jésus. Elle a dit qu'après sa mort, il était revenu à la vie. Tu y crois, toi, à ça ?
Vanessa : Et bien... Disons que... Je ne suis pas croyante alors c'est difficile pour moi d'imaginer que cela ait réellement pu se produire. Tu aimerais revenir à la vie après ta mort, Théo ?
Théo (serrant de sa main celle de Vanessa) : J'aimerais, oui.
Vanessa : On appelle ça... la Résurrection.
Théo : Moi, je crois à ça. Je suis sûr que ça existe.
Vanessa : Tu as peut-être raison, qui sait ?
Théo : J'espère...
Vanessa (moment de silence) : Tu m'impressionnes beaucoup, Théo. Je... Je n'étais pas comme toi lorsque j'avais ton âge.
Théo : Pourquoi tu dis ça ?
Vanessa : Et bien... En fait, je ne me posais aucune question sur la mort. Je pensais juste à vivre, c'est tout. Mais toi... Toi, tu as l'air si mûr pour ton âge.
Théo : Ca veut dire quoi, « mûr » ?
Vanessa : Ca signifie que tu penses autrement. Tu penses à des choses auxquelles tes petits camarades ne pensent pas.
Théo : Ah bon...
Vanessa : Est-ce qu'on t'a déjà expliqué d'où venait ton prénom ?
Théo : Non, jamais.
Vanessa : « Théo » vient de « theos ». C'est du grec. Ca signifie « dieu ».
Théo (sur un ton ironique) : Ah bon ? Je suis un dieu alors ?
Vanessa : Sans doute... Pourquoi pas, après tout ? Et si tu es un dieu, alors tu vas te battre pour vaincre cette maladie. Je peux compter sur toi pour que tu le fasses, hein ?

Théo se tourne de nouveau vers la grande baie vitrée donnant sur le parking extérieur. Laissant tomber sa bande dessinée sur ses draps, il scrute ce ciel dégagé de ses sombres nuages boudinés. Vanessa caresse de son regard maternel le visage du jeune garçon. Un silence grave et serein plane dans la petite chambre. Vanessa repense à Lionel, à ses révélations, à l'amour qu'il lui voue, au-delà de cet interdit, de cette conscience morale commune.

La caméra s'éloigne de la chambre, laissant la jeune stagiaire partagée entre le doute et la naïve certitude d'un destin plus heureux pour Théo... Et pour elle-même.


Embourg. Résidence de Hartmann. Samedi 7 mars. 20 heures 18.

La caméra tourne lentement, traçant un cercle invisible autour de Rachel et Greg. Les jeunes gens sont coincés sur leur siège ; bras, jambes et torse sont solidement liés, la bouche dissimulée sous un épais pansement, les regards inquiets, les gémissements étouffés. Autour d'eux, un décor de prison dorée, étrangement pathétique. Les photographies de leurs camarades sur le mur du fond forment un large écran aux contours irréguliers. Le silence est la seule réponse à leur angoisse. Ni gestes ni dialogues possibles. Hartmann les a abandonnés à leur triste sort, espérant une révélation de leur part. Il reviendra, c'est promis juré ; dans quelques heures ou demain.

Chaque soir, si le temps le permet, Anna se déplace dans le parc entourant la villa. C'est son seul voyage de la journée, réduit à une dizaine de minutes. D'après son médecin, prendre l'air en début de soirée est le meilleur remède contre les virus en tous genres. C'est une phrase lancée comme ça, sans confirmation rigoureuse, mais cela arrange Anna, trop souvent cloîtrée entre ses murs de marbre et de papier peint baroque. Quand on ne voit rien d'autre, le luxe devient lentement suffoquant.

Le bâtiment annexe trône comme un solitaire perdu dans la verdure généreuse du domaine privé : il a toujours intrigué Anna, qui n'a jamais pu y accéder sans l'autorisation de son père. Officiellement, c'est le bureau de Hartmann, là où il passe son temps à bouquiner, collectionner, cogiter, savourer, méditer. La jeune femme n'a jamais osé s'approcher de ce bungalow isolé, fruit d'un caprice de son richissime paternel. Habituellement, les volets sont ouverts la journée, bien que d'épaisses tentures dissimulent en permanence l'intérieur de cette résidence secrète. En ce soir de mars, les volets sont déjà baissés, ce qui surprend Anna.

Empruntant la petite allée pavée menant à l'annexe, elle s'approche de l'entrée. La porte est entrouverte, laissant passer un mince filet de lumière artificielle sur le seuil. Avec son imposante chaise roulante, Anna peine à s'introduire dans le couloir du hall. Elle découvre alors, accrochées aux murs, des oeuvres d'art. Les signatures ne lui révèlent rien ; ce sont des artistes sans envergure, mais avec un talent certain. Le papier peint est similaire à celui du grand salon de la résidence : des motifs baroques, lourds et chargés, écoeurants au plus haut point. Décidément, les goûts de son père ne la combleront jamais !

Anna (à l'aide de son vocalisateur artificiel) : Y a quelqu'un ?

Personne ne répond. Anna s'avance, le regard avide de découvertes.

Anna : Papa, tu es là ?

Dans le salon où sont tenus à l'écart Rachel et Greg, l'improbable voix métallique d'Anna vient sortir les deux victimes d'un demi songe. Rachel écarquille ses yeux, regarde Grégory et se met à gémir.

Anna s'approche de la porte du salon. Un fin bruit vient réveiller son attention : une voix, un appel ? La jeune femme effectue une manoeuvre délicate avec sa chaise roulante, de sorte à positionner son oreille droite en direction de la serrure. Elle écoute une seconde fois ce qui semble être un gémissement. Celui-ci se reproduit à plusieurs reprises, laissant Anna perplexe.

Anna : Qui est là ?
Rachel et Greg : ...
Anna : Répondez, s'il vous plaît !

Deux voix étouffées lui répondent mais aucun son clair ne traverse la paroi de la porte en chêne massif.

Anna, le visage inquiet, se précipite vers la sortie, traverse le jardin et retourne en direction de la résidence. Julia est à l'extérieur, près de la cuisine.

Julia [la gouvernante] : Anna, où étiez-vous ?
Anna : Julia, il faut que je vous parle. Appelez la police !
Julia : La police ? Mais...
Anna : S'il vous plaît, faites ce que je vous dis ! Dépêchez-vous !

Soudain...

Hartmann (colérique) : Julia !!

Julia se retourne vers la cuisine. Hartmann, la mine anesthésiée par la colère, vient de se rendre compte de son imprudence. Il s'adresse à ses deux interlocutrices.

Hartmann : Vous n'appellerez PERSONNE !! Cela vaudra mieux pour tout le monde : autant pour vous deux que pour moi...

La caméra s'approche de Hartmann. Une musique sombre s'immisce dans la scène, s'intensifiant jusqu'à la disparition progressive de l'image.