samedi 13 juin 2009

EPISODE 28 : TRANSGRESSION (Partie 6)

Liège. Second appartement de Marc. Samedi 7 mars. 10 heures 28.

Un filet de lumière matinale se fraye un chemin sur l'épaisse couette enveloppant Caroline et Marc. Le couple tranquille est figé dans une posture silencieuse. Lui, d'un côté, le regard à l'Est, elle, de l'autre, le regard au Sud. La ville s'invite dans ce calme intime, avec ses bruits proches et lointains : klaxons, démarrages, freinages et sirènes aiguës s'entremêlent dans un rythme symphonique urbain.

La sonnette est déclenchée : deux sonneries espacées par une courte seconde. Il n'y a ni hôte ni facteur prévus à cette heure-là. Les paupières de Marc peinent à s'ouvrir. Il se tord dans tous les sens comme pour réveiller son corps alourdi par le sommeil. La caméra le suit : il se lève presque nu, frotte son visage de sa main droite, et de la gauche, attrape son peignoir de coton déposé sur un bout de lit. Il l'enfile et se précipite en direction du hall d'entrée, passe l'oeil prudent sur le judas et ouvre la porte. Sur le seuil, Vanessa...

Vanessa : Oh ! Je... Je te réveille ?
Marc (embarrassé) : Heu... Et bien, disons que...
Vanessa : Je suis désolée. Je reviendrai plus tard dans la journée.
Marc : Non... Non, reste ! Tu ne vas quand même pas refaire le chemin alors que tu es là ?! Viens, entre...
Vanessa : Je pensais que...
Marc : Je sais, tu pensais que je serais en train de prendre mon petit déj' mais il m'arrive aussi d'apprécier les réveils plus tardifs.
Vanessa (en entrant dans le hall) : Je suis venue t'apporter le livre.

Vanessa tend l'ouvrage au jeune homme.

Vanessa : Je l'ai lu à deux reprises. Je me suis permis de photocopier certains passages.
Marc : Je crois que je vais le dévorer d'une traite, ce bouquin !
Vanessa : Tu y apprendras des choses très intéressantes sur notre famille. Attends-toi aussi à découvrir des parties moins agréables.
Marc : C'est-à-dire ?
Vanessa : Et bien, disons que... Nos ancêtres ont été pourchassés pour tout et n'importe quoi. Ils ont été trop facilement déshonorés et stigmatisés.
Marc : Tu restes assez vague dans tes propos. Y a-t-il eu des événements tragiques ?
Vanessa : Plus que tu ne pourrais l'imaginer.

Caroline, le regard à peine éveillé, entre dans le salon. Marc est décontenancé par l'arrivée soudaine de la jeune femme.

Vanessa : Caro ?
Caroline : Vanessa ?

Vanessa jette un regard inquisiteur sur Marc. Celui-ci se confond en excuses.

Marc : Elle est juste venue hier soir et...
Vanessa : Marc... Ne me dis pas que...
Caroline : Il ne s'est rien passé si tu veux savoir !
Vanessa : Il ne s'est rien passé ? Enfin, Caroline, ne me prends pas pour une idiote !
Marc : Elle est venue hier soir et nous avons longuement discuté. Caro n'était pas bien.
Vanessa : Je n'ai pas envie de jouer les vertueuses de service mais je pense sincèrement que vous prenez de gros risques à faire ce que vous faites !
Caroline : Et alors ? Où est le problème ? Ecoute, Vanessa, je sais que tu as d'autres choses à penser qu'au sexe ou à l'amour mais...
Vanessa : Ca n'a rien à voir ! Et puis qu'insinues-tu en disant ça ?
Caroline : Rien, je n'insinue rien !
Vanessa : Si ! Tu me fais passer pour la jeune fille de bonne famille, innocente et pure, cloîtrée dans ses études et ne s'intéressant qu'à ses bouquins !
Caroline : C'est toi qui penses ça de toi ! Arrête de délirer !
Marc : Ecoutez, les filles, ça ne sert à rien de vous chamailler !
Vanessa (sur un ton ferme et direct) : Marc, tu ne peux pas coucher avec Caro !
Marc : On a agi en responsables, crois-le bien !
Caroline : Tu ne vas quand même pas nous donner des leçons ?!
Vanessa : Je veux juste vous rappeler que vous êtes comme frère et soeur ! Et si demain vous annoncez au groupe que vous attendez un enfant, qu'adviendra-t-il de lui ? Si vous voulez vivre en couple, choisissez-vous chacun un autre partenaire ! Barnier vous a prévenus !
Caroline : Tu aimes Lionel.
Vanessa : Pardon ?
Caroline : Lionel... Tu es amoureuse de lui, Vanessa.
Vanessa : Mais qu'est-ce que tu me chantes, là ?

Caroline s'avance vers Vanessa, l'index pointé en direction de la jeune étudiante.

Caroline : Je vais te dire tes quatre vérités. Tu aimes Lionel ; seulement voilà, tu n'as pas le droit de l'aimer parce que « Barnier a dit que » ! Tu as peur du « qu'en dira-t-on » et du jugement des autres membres. Mais je te signale que le Réseau n'est pas voué à disparaître comme ça ! Il y aura une descendance et...
Vanessa (interrompant Caroline) : Mais cette descendance ne peut pas se faire de façon naturelle, Caro ! Tu le sais bien ! Nous sommes un projet ! Un pur projet ! Rien de plus ! Tu comprends ça ?

Moment de silence. Dépitée, Caroline baisse les yeux et se tourne vers Marc.

Caroline : Un pur projet... C'est tout ce que nous sommes ?
Marc : Si nous prenons le risque d'avoir un enfant, Caro, notre vie sera complètement chamboulée.
Vanessa : Si nous formons des couples au sein même du Réseau et si nous nous risquons à perpétuer notre famille avec pour seuls partenaires des membres de la communauté, nous serons condamnés par le destin. Nos enfants seront des arriérés. Nous avons 100% de chances de les voir disparaître avant nous.
Caroline : 100% de chances...
Vanessa (en se dirigeant vers le hall d'entrée) : Réfléchissez bien aux conséquences de vos actes. Oh et, si tu veux vraiment savoir : Lionel est amoureux de moi et je pense que moi aussi, de mon côté... Je suis amoureuse de lui. Mais moi au moins, j'arriverai à me contenir...

Le claquement brut de la porte termine la discussion. Caroline regarde Marc dans un silence lourd de sens.

Caroline : Je... Je me souviens de la première fois où j'ai tenté de t'embrasser.
Marc (regardant par la fenêtre le trafic au bas de son immeuble) : Je savais que ce n'était pas une bonne idée.
Caroline : Quoi... Qu'est-ce qui n'est pas une bonne idée ?
Marc (se tournant vers Caroline) : Je n'aurais jamais dû me laisser faire. Ce n'est pas avec toi que je dois vivre, tu le sais bien.

La demoiselle se tait. Les paroles de son compagnon martèlent son esprit ; elles semblent sonner la fin d'une idylle salvatrice dans l'existence perturbée de la jeune femme.
Caroline : On n'est pas obligés d'avoir des enfants.
Marc : Caro, ce n'est pas toi qui parles, là. Tu sais bien que tu ne pourrais pas vivre sans enfants.
Caroline : Mais je peux faire un effort.
Marc : « Faire un effort » ? Mais comment oses-tu parler ainsi, Caro ? Je ne te reconnais pas ! Tu veux te forcer à mener une vie qui ne correspondra en rien à tes aspirations ?
Caroline (moment de réflexion) : Tu as raison. Je dis n'importe quoi...
Marc : Tes sentiments finiront pas s'estomper avec le temps. Sois patiente.

Marc s'approche de Caroline. Il l'enlace comme pour la consoler. La caméra s'approche du couple puis se déplace vers une tablette située près de l'appui de fenêtre. Sur celle-là, l'ouvrage de Maxence de Saint-Lambert...



Scène suivante. Même jour. Résidence de Hartmann à Embourg. 18 heures 39.

Rachel et Greg sont attachés sur des sièges distancés l'un de l'autre d'environ trois mètres. D'imposantes boules d'acier placées au bas des pieds de ceux-ci empêchent le moindre déplacement. Plongés dans le noir absolu, les deux jeunes gens ont le visage camouflé sous une épaisse cagoule de laine noire. Des boules de tissu placées dans leur bouche ne leur permet aucune possibilité d'appel. Les gémissements, aussi discrets soient-ils, constituent leur seul moyen de communication.

Soudain, la porte s'ouvre. La lumière pénètre en dessinant une forme géométrique sur le sol. Les murs s'éclaircissent, laissant apparaître un salon à la décoration raffinée et au mobilier de style.

Hartmann (le visage découvert) : Je vous apporte votre repas du soir. J'espère que vous apprécierez...

L'homme, un Magnum à la main, s'avance avec un plateau sur lequel sont disposées deux assiettes garnies de crudités et de viande froide. Il dépose leur repas sur une table et enlève délicatement les boules de tissu des deux bouches.

Greg : Que... Qu'est-ce que vous allez faire ?
Hartmann : Je vais vous donner à manger. N'ai-je pas le droit ?
Greg : Ce n'est pas ça que je veux savoir, mais la suite ! Qu'est-ce que vous attendez de nous ?
Hartmann : Patience, patience... Mais vous savez très bien ce que je veux.
Greg : C'est vous qui avez tué Laura et Mélanie ! Espèce de sal...

Grégory, en tournant son visage vers la gauche, découvre alors un mur entier couvert de photographies des deux jeunes filles disparues. Hartmann, constatant l'étonnement de sa nouvelle victime, se dirige vers le mur de l'horreur. Il se met à contempler les centaines de portraits plaqués les uns à côté des autres. Sous le regard scrutateur de Grégory.

Hartmann : Laura et Mélanie étaient de belles jeunes femmes. Quel triste sort, n'est-ce pas ?
Grégory : Comment avez-vous pris ces photos ?
Hartmann : Je les ai traquées jour et nuit. Je voulais tout savoir d'elles. Chacun de leurs gestes m'était précieux.
Grégory (agacé) : Comment avez-vous pris ces photos ?!
Hartmann (sur un ton nonchalant) : Ca n'a aucune importance. Regardez, vous aussi, je vous ai pris en photo...

Hartmann pousse lentement le siège du jeune homme vers la seconde partie du grand salon. Sous les pieds de la chaise, des roulettes incrustées facilitent le déplacement malgré le poids des boules d'acier. La caméra filme en gros plan l'avancée pénible de ces masses sphériques roulant sur elles-mêmes.

Un autre mur dévoile un étrange spectacle : une quantité incommensurable de photographies recouvre l'entièreté du côté droit de la seconde partie du living. Lionel, Marc, Jessica, Rachel, Caroline, Grégory, Vanessa, Arnaud, Sarah... Tous sont exposés là, dans leurs moindres faits et gestes, sous le regard maniaque d'un ennemi qu'ils ne connaissent pas.

Hartmann : Et vous, Rachel, ça vous dirait de voir ce que j'ai fait ?

La jeune fille, statufiée et le regard dans le vide, ne répond pas.

Hartmann se dirige vers son siège et la déplace comme si elle était figée dans une chaise roulante, comme si elle était désormais privée de ses capacités motrices. Rachel découvre à son tour cette troublante mosaïque de visages familiers. Elle y reconnaît ses amis, ses collègues de travail, ses soirées passées dans les bars du centre-ville, ses amourettes passagères. Elle y reconnaît les autres membres du Réseau. Rachel se tourne alors vers son ravisseur.

Rachel : Qui êtes-vous ? Pour... Pourquoi avez-vous pris ces photos ?
Hartmann : Vous savez qui vous êtes. Vous jouez les hypocrites depuis votre plus tendre enfance. Vous vous faites passer pour ce que vous n'êtes pas. Parce que vous connaissez parfaitement l'enjeu du projet qui guide votre destinée !
Rachel : Le projet ? Quel projet ?
Hartmann : Ne jouez pas à ce petit jeu avec moi.
Rachel : Vous n'avez toujours pas répondu à ma question.
Hartmann : Quelle importance !
Grégory : Si vous voulez de l'argent, nous sommes prêts à vous en donner !
Hartmann : De l'argent ? Alors vous savez enfin pourquoi vous êtes ici !
Rachel : Si l'argent peut nous sauver, dites-nous ce qu'il vous faut et on s'arrangera.
Hartmann : Vous êtes prêts à payer le prix fort pour votre tranquillité ?
Grégory : Dites-nous ce que vous voulez !
Rachel : Allez-y !

Hartmann se retourne, le dos face à ses victimes. Il s'approche des photographies, scrute les visages, observe les détails des situations, caresse du regard l'étrange assemblage de son oeuvre.

Hartmann : Ce que je veux ? (Moment de silence.) Je veux l'entière fortune du Réseau. Ni plus ni moins.

Le fond musical s'intensifie. La caméra opère un travelling avant lent sur le visage du vieil homme...