samedi 25 avril 2009

EPISODE 23 : TRANSGRESSION (Partie 1)

Liège. Place Saint-Lambert. Appartement de Georges Barnier. Vendredi 27 février. 9 heures 12.

La caméra suit Barnier se dirigeant vers le hall d'entrée, là où sont disposées les boîtes-aux-lettres des résidants de l'immeuble. Introduisant sa clé dans la sienne pour l'ouvrir, il en sort délicatement le courrier. Entre lettres publicitaires et paperasse administrative, une enveloppe blanche, envoyée par recommandé et cachetée du sigle du Ministère de la Justice, attire l'attention du vieil homme. En dépliant la lettre, son regard se met en quête du moment de grâce qui le délivrera de son inquiétude. L'auteur de la missive n'est autre que le Procureur du Roi.

« (...) Attendu que Monsieur Arnaud Dechêne (...), dispose d'un casier judiciaire vierge et qu'il n'est tenu par aucun antécédent en matière de délit ou de crime, attendu qu'il a fait l'objet d'une enquête menée par le service judiciaire de la Police locale de Liège, sous la responsabilité du juge d'instruction, démontrant qu'il n'y a jamais eu intention de meurtre et que son acte n'est que l'effet d'un désir approuvé de légitime défense, attendu que l'arme détenue par le concerné est un objet factice ne constituant pas de « danger majeur » dans les circonstances présentées par l'accusé et analysées lors de l'enquête et des devoirs supplémentaires effectués, le Procureur du Roi, Monsieur Jacques Baron, (...) accorde la suspension de la détention préventive accomplie par Monsieur Arnaud Dechêne dans le respect de la décision du juge d'instruction (...). »

A la lecture de cette déclaration, Barnier sort son téléphone portable d'une des poches de son gilet. Il compose alors un numéro, celui de Sarah, la petite amie d'Arnaud.

Barnier : Allô Sarah ?
Sarah (petite amie d'Arnaud) : Allô ?
Barnier : Sarah... C'est Georges... Georges Barnier.
Sarah : Monsieur Barnier ? Que se passe-t-il ?
Barnier : J'ai une excellente nouvelle à vous annoncer, ma petite Sarah.
Sarah : Ah bon ? Ca concerne Arnaud, je suppose...
Barnier : En effet ! Je viens de recevoir la lettre du Procureur du Roi. Arnaud va enfin être libéré... Vous entendez ? Arnaud enfin libre !
Sarah : Li... Libre ? Je savais qu'ils le libéreraient tôt ou tard ! Quand pourra-t-on le voir ?
Barnier : Mercredi... Mercredi prochain. Vers 10 heures. Vous pourrez être disponible ?
Sarah : Sans problème. Je passerai chez vous. Comptez sur moi.

Scène suivante.

Liège Nord. Centre de détention. Mercredi 4 mars. 10 heures 23.

Dans le couloir C3 du centre de détention, Arnaud suit un gardien marchant en direction des bureaux administratifs.

Le gardien : Vous savez, la prison est un milieu à part où l'on apprend beaucoup sur les hommes.
Arnaud (tenant deux gros sacs en main) : Je m'en serais bien passé !
Le gardien : Sans doute mais je suis sûr qu'on ne peut pas y perdre nécessairement. Il y a toujours du positif à tirer de ce genre d'expérience. Et puis, vous avez été plutôt bien considéré ici, non ?
Arnaud : Il n'y a qu'une chose dont je sois sûr, c'est de vouloir quitter cet endroit au plus vite !

Le département administratif est un long couloir exigu et faiblement éclairé par une fenêtre située à son extrémité. Georges Barnier, presque noirci par le contre-jour, est là, assis, face au bureau du secrétariat ; il est accompagné de Sarah, la petite amie d'Arnaud.

Barnier : Ah ! Ce n'est pas trop tôt ! Ca fait une demi-heure au moins que nous attendons ici. Et personne ne nous informe sur votre arrivée !
Le gardien : Et bien nous voici, cher monsieur !

Sarah se précipite sur Arnaud ; elle l'embrasse tout en l'enlaçant.

Sarah (lui sussurant à l'oreille) : J'avais hâte de te revoir. Tu m'as manqué.
Arnaud : Toi aussi.
Sarah : J'ai préparé une surprise pour toi...
Arnaud : Ah bon ? Quel genre de surprise ?
Sarah : Mmmmh, tu verras bien. Une surprise reste une surprise !

Le gardien : Bon vent à vous, Monsieur Dechêne. Le moins que je puisse espérer pour vous est de ne pas vous revoir parmi nous.
Arnaud : De toute façon, je n'avais rien à faire ici et je ne compte pas revenir, croyez-le bien !
Barnier : Je n'ai pas envie de rester une minute de plus ici. Ca sent le rat mort ! Allez, en route, jeunes gens...
Le gardien : Oh, avant que vous ne partiez, juste un petit conseil : évitez dorénavant de vous promener avec une arme factice. Ca vous évitera bien des ennuis.
Arnaud : Oui... C'est sans doute la seule leçon que je puisse tirer de toute cette affaire !

Tandis que Barnier, Arnaud et Sarah s'éloignent, le gardien est approché par l'un de ses collègues, un gobelet de café à la main.

Collègue : Alors c'est lui, Georges Barnier ?
Gardien : Et oui...
Collègue : Et le jeune homme ?
Gardien : Je ne sais pas. Mais c'est pas son fils, ça, c'est sûr !
Collègue : Je parie qu'il y a encore une histoire de gros sous derrière cette libération.
Gardien (en tapotant sur l'épaule) : Oh, ce n'est pas la première... Et certainement pas la dernière... Vive la Justice !

Le gardien quitte le champs de la caméra. Zoom lent avant sur le visage de son collègue, désabusé par cette déclaration.


Scène dans la voiture de Barnier.

Arnaud : Dans toute cette histoire, il y a un élément que nous avons définitivement perdu.
Barnier : Ah bon ? Lequel ?
Arnaud : L'arme !
Barnier : En effet mais ce n'est pas le plus important. Ce qui compte, c'est ta liberté, Arnaud.
Sarah : Monsieur Barnier... Ce qui s'est passé dans votre appartement, vous l'expliquez comment ?
Barnier : Pardon ?
Sarah : Oui, vous l'expliquez comment ? Tout ce désordre dans votre appartement... Il y avait des dossiers sens dessus dessous.
Barnier : Il s'agissait d'un cambriolage, rien de plus. Pourquoi cette question ?
Sarah : Je... Je ne voudrais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais aucun objet d'art n'a disparu. Ils sont donc venus pour récolter des informations. Et c'est donc la question que je me pose : que voulaient-ils précisément comme informations ?
Barnier (embarrassé) : Oui, sans doute. Mais... Peut-être s'agit-il d'un cambriolage orchestré par l'un de mes anciens associés ? Ils cherchaient peut-être des renseignements comptables ou... Ou des plans de projets scientifiques. Dieu seul sait ce qu'ils voulaient !
Sarah : Oui, peut-être. Vous êtes un homme d'affaire, alors forcément...
Arnaud : Forcément, l'argent entraîne la convoitise...

Barnier regarde d'un oeil prévenant son protégé. Tous deux connaissent la véritable raison du cambriolage dont Barnier a été victime. Mais devant Sarah, il convient de taire le réel motif du délit. La route menant à Liège se libère peu à peu des quartiers résidentiels. De part et d'autre de la chaussée apparaissent des champs de céréales, qui finissent par rejoindre l'horizon. La caméra suit la Bentley pour l'abandonner lentement hors du champs de l'objectif.

Scène suivante. Arrivée dans le parking souterrain de la place Saint-Lambert. Barnier gare sa voiture sur un emplacement qui lui est réservé. Le claquement des portières résonne.

Arnaud : J'aimerais aller faire un tour en ville.
Sarah : Tu ne veux pas manger un bout ?
Arnaud : Si, mais j'aimerais qu'on aille manger dans un petit resto.
Barnier : Je vais vous laisser en amoureux. Amusez-vous bien.
Arnaud : Je reviens dans deux petites heures.
Barnier : Prends ton temps, Arnaud. Profite de ta nouvelle liberté !

Arnaud et Sarah s'engagent sur le chemin menant vers la sortie du parking. Soudain, la jeune fille tire Arnaud vers un coin de l'étage protégé par un mur en saillie.

Arnaud : Sarah, qu'est-ce que...
Sarah : Chhhhut. Ne fais pas de bruit.
Arnaud : Mais...
Sarah : C'est le seul endroit discret dans cette ville où je peux t'embrasser sans faire de jaloux !
Arnaud : Qu'est-ce que...

Sarah enlace le jeune homme. Pour la première fois depuis plus d'un mois, elle peut enfin se réconforter dans les bras d'Arnaud. Ce dernier, sans doute encore dérouté par sa détention, éprouve quelque difficulté à répondre au désir de Sarah.

Arnaud : Sarah... Sarah... Ecoute-moi.
Sarah : Quoi ? Que se passe-t-il ?
Arnaud : Je... Je sais que tu vas trouver ça bizarre mais... Mais je ne me sens pas encore prêt à...
Sarah : Il y a un problème ?
Arnaud : Je suis très fatigué. A vrai dire, je n'ai quasiment pas dormi là-bas. Alors, tu comprends...
Sarah (un peu dérangée par ce comportement inattendu) : Tu ne m'aimes plus, c'est ça ?
Arnaud : Non... Non, ce n'est pas ça. Seulement, j'ai... J'ai besoin de me reposer. Oui, c'est ça, j'ai besoin de me reposer.
Sarah : Tu veux que je te laisse ?
Arnaud : Non. Non, surtout pas. Reste avec moi. Mais il me faut juste du temps pour trouver mes repères.
Sarah (moment de silence) : Bien... Je comprends.
Arnaud (baissant la tête) : ...
Sarah : Quelque chose ne va pas, Arnaud ?
Arnaud : Sarah... (Moment de réflexion) J'ai peur.
Sarah : Peur ? Peur de quoi ? (Moment de silence) De quoi as-tu peur, Arnaud ?
Arnaud (baissant son regard) : Rien. Laisse tomber...
Sarah : Tu me caches quelque chose. Je le sais. Dis-moi que tu me caches quelque chose.

Arnaud soupire, carresse délicatement le visage de Sarah puis, lentement, approche ses lèvres des siennes. Surprise par cet accès de tendresse, la bouche de la jeune fille répond par des effleurements. Peau contre peau. Peur contre peur. Le moment est presque solennel. Comme si cet instant d'intimité, derrière un mur de béton lisse et froid, était une revanche sensuelle sur ces quelques semaines de frustration passées.


Centre psychiatrique de Liège. Lundi 2 mars. 14 heures 27.

Hartmann est installé dans le bureau de sa thérapeute, le Docteur Noville.

Dr Noville : J'aimerais que nous revenions sur votre enfance, Monsieur Hartmann. Vous ne m'avez pas beaucoup parlé de votre père.
Hartmann : Mon père ? Que pourrais-je raconter sur lui ? Je ne l'ai quasiment pas connu.
Dr Noville : Il est décédé alors que vous étiez enfant, c'est bien cela ?
Hartmann : Je n'ai aucun souvenir de lui, à vrai dire. Je n'étais pas encore à l'école primaire lorsqu'il a disparu.
Dr Noville : De quoi est-il mort ?
Hartmann : De la barbarie nazie, Docteur !
Dr Noville : Votre père était juif ?
Hartmann : C'est exact. Il était dans le textile. Un capitaine d'industrie féroce doublé d'un sens commercial redoutable. Il avait beaucoup de détracteurs.
Dr Noville : Où est-il mort ?
Hartmann : A Treblinka, en Pologne. C'était en 1943...
Dr Noville : Votre mère a survécu...
Hartmann : Elle est décédée peu de temps après la guerre. Elle n'a pas supporté la disparition de mon père. Je n'ai pas accepté sa mort. Elle était très affectueuse.
Dr Noville : Qui vous a pris en charge par après ?
Hartmann : Agnetta, une lointaine cousine.
Dr Noville : Et vous avez alors vécu votre enfance auprès d'elle. Vous a-t-elle choyé comme votre mère le faisait ?
Hartmann : Agnetta était une femme plutôt bohème, artiste dans l'âme mais terriblement égocentrique. Nous ne recevions jamais de visite à la maison. Elle possédait une villa très spacieuse, avec un immense jardin. Elle achetait des mannequins de cire qu'elle habillait avec des vêtements confectionnés par ses propres soins, puis elle les disposait un peu partout dans la maison. L'atmosphère était plutôt théâtrale.
Dr Noville : Mais avait-elle de l'affection pour vous ?
Hartmann : En réalité, Agnetta m'a donné l'impression d'être absolument indifférente à mon égard.
Dr Noville : Pourriez-vous être plus explicite ?
Hartmann : Elle manquait d'empathie à l'égard des gens. Elle ne s'intéressait à personne.
Dr Noville : Mais, vis-à-vis de vous, comment se comportait-elle ?
Hartmann : Je vous l'ai dit : beaucoup d'indifférence, une absence totale d'intérêt.
Dr Noville : Bien. Elle est restée longtemps célibataire ?
Hartmann : Jusqu'à la fin de sa vie.
Dr Noville : Elle n'a jamais eu de partenaire ?
Hartmann (baissant sa tête) : Non.
Dr Noville : Pourquoi baissez-vous la tête ?
Hartmann : Rien.
Dr Noville : Vous voulez exprimer quelque chose, n'est-ce pas ?
Hartmann : Non. Enfin... Disons que... Disons qu'elle a eu un partenaire dans sa vie. Un seul.
Dr Noville : Un seul partenaire. Bien. Et pourriez-vous m'en parler ?
Hartmann (moment de silence) : ...
Dr Noville : Monsieur Hartmann ? Pourriez-vous me parler de ce partenaire ?
Hartmann (intimidé) : Oui. Je... Je peux en parler.
Dr Noville : De qui s'agissait-il ?
Hartmann : Et bien... Il s'agissait de... De moi.
Dr Noville (surprise) : De vous ?
Hartmann : Oui, de moi.
Dr Noville : Mais... Vous étiez son petit ami ?
Hartmann : C'est bien cela. J'ai été son seul petit ami.
Dr Noville : A partir de quel âge avez-vous entretenu cette relation ?
Hartmann : J'avais 19 ans.
Dr Noville : Vous étiez consentant alors. Comment est née cette relation ?
Hartmann : Et bien, lorsque j'ai entamé mes études en chimie à l'université, Agnetta avait à peine dépassé la quarantaine. Elle vivait toujours dans la villa de ses parents, morts dans les camps. A l'époque, je pratiquais beaucoup le sport ; j'étais dans un club de tennis à l'université. Je passais la semaine sur le campus et ne revenait que le week-end chez elle. Mais en raison de mon adhésion au club, il m'arrivait de rester le samedi au campus pour des compétitions. C'est lors de cette première année d'études que notre relation a changé. Elle disait que je lui manquais durant la semaine, qu'elle se sentait « affreusement seule ».
Dr Noville : Et elle s'est subitement prise d'affection pour vous.
Hartmann : Elle voyait mon physique changer. Je devenais un homme. Agnetta ne fréquentait jamais personne. Je crois qu'elle a été profondément traumatisée par la perte de ses parents. Elle était fille unique.
Dr Noville : Que s'est-il passé ensuite ? Vous êtes sorti avec elle...
Hartmann : Je suis sorti avec elle. J'ai essayé du moins. Mais notre relation n'a fonctionné que sur le désir. Nous nous sommes vite rendu compte qu'il n'y avait pas d'amour entre nous. Nous étions mus par une seule et même envie, celle de rompre la solitude.
Dr Noville : Combien de temps a duré cette relation ?
Hartmann : Ca a duré quatre mois. Puis... (Moment de silence)
Dr Noville : Puis ?
Hartmann : J'ai fait la connaissance de celle qui allait devenir ma seule et unique petite amie. Et là, les choses ont commencé à se gâter.
Dr Noville : Vous estimez donc qu'Agnetta n'était pas une « petite amie ».
Hartmann : Nous avons juste eu des rapports physiques mais sans vrai sentiment. Je ne pouvais pas la considérer comme une petite amie.
Dr Noville : Vous dites que les « choses ont commencé à se gâter ». C'est-à-dire ?
Hartmann : L'accident... (Moment de silence)
Dr Noville : L'accident...
Hartmann : Agnetta n'a pas supporté ma nouvelle relation. Alors elle s'est vengée.
Dr Noville : Comment s'est-elle vengée ?
Hartmann : Anna, ma fille, est le résultat de cette vengeance. (Moment de silence)
Dr Noville : Anna...
Hartmann : Excusez-moi... Je... J'aimerais arrêter la séance, si ça ne vous dérange pas.
Dr Noville : Bien. Pas de souci. Vous savez que je ne suis pas là pour précipiter les choses, alors je respecte votre choix d'arrêter.

Hartmann se lève. Le Docteur Noville fait de même.

Dr Noville : Monsieur Hartmann, s'il y a quoi que ce soit que je puisse...
Hartmann : Je sais, merci. C'est très gentil à vous, Docteur.

Le docteur serre la main de son patient. Son regard est pensif ; désormais de nouvelles données viennent s'ajouter au puzzle de la thérapie, avec le vif espoir d'approcher enfin la vérité.

Hartmann sort du bureau, emportant avec lui imperméable et feutre noirs.

Dr Noville : Revenez me voir la semaine prochaine, même jour, même heure, Monsieur Hartmann.
Hartmann : Comme d'habitude, Docteur Noville. Oh heu, promettez-moi une chose.
Dr Noville : Ce que vous voudrez.
Hartmann : Ne dévoilez à personne tout ce que je vous raconte.
Dr Noville : Vous n'avez rien à craindre. Je suis tenue par le secret médical. Soyez tranquille.
Hartmann : Bien... Alors je suis soulagé.
Dr Noville : Appelez-moi si quelque chose ne va pas. Vous connaissez la procédure.
Hartmann : Au revoir, Docteur...