samedi 14 février 2009

EPISODE 13 : PEUR ARCHAÏQUE (Partie 4)

Embourg. Domicile de Hartmann. Samedi 17 janvier. 22 heures 49.

La caméra suit le fauteuil roulant électrique dans le dédale des couloirs feutrés du rez-de chaussée. Le système motorisé placé à l'arrière du siège génère un bruit tantôt léger, tantôt accentué par les manoeuvres qu'Anna, la fille de Hartmann, opère pour faciliter son déplacement. La gouvernante, installée dans la cuisine, dispose les médicaments de la jeune femme sur un plateau. A la radio, une sonate de Johannes Brahms se fait discrète dans son dialogue rythmé de notes graves et aiguës.

La gouvernante (d'une voix calme et élevée) : Mademoiselle Anna, votre préparation est faite.

Anna se dirige lentement vers la cuisine. Elle actionne de ses lèvres une tigette lui permettant de mettre en route son vocalisateur artificiel.

Anna : Je suis là, Julia.
La gourvernante : Je vous ai tout préparé, mademoiselle.
Anna : Où est papa ?
La gouvernante : Je n'en ai pas la moindre idée. Il m'a dit qu'il devait s'absenter pour une bonne partie de la soirée.
Anna : Il est étrange, vous ne trouvez pas ?
La gouvernante (surprise par cette remarque soudaine) : Pardon ?
Anna : Mon père... Vous ne trouvez pas qu'il est étrange ?
La gouvernante : Et bien... A vrai dire, je n'ai pas vraiment l'occasion de lui parler.
Anna : Vous n'osez pas répondre, n'est-ce pas ?
La gouvernante : Je suis très mal placée pour vous répondre, Mademoiselle.
Anna : Je comprends.
La gouvernante (moment de silence) : ... Je vais prendre votre sonde.

La dame s'exécute alors dans sa tâche médicale. Après avoir minutieusement nettoyé la sonde, elle y introduit un liquide blanchâtre.

La gouvernante : Je tâcherai cette fois-ci de ne pas obstruer la tubulure. Faites-moi confiance. Je passe le liquide.
Anna : Vous avez de l'eau gazeuse en cas de problème ?
La gouvernante : J'en ai, ne vous inquiétez pas.

Moment de silence.

Anna : Vous êtes une femme courageuse.
La gouvernante : Je suis infirmière et gouvernante. Le courage est une condition sine qua non pour exercer ces deux métiers. Si on n'en a pas, il faut faire autre chose.
Anna : Je le sais.
La gouvernante (après quelques secondes) : Voilà, affaire réglée ! Votre médicament est administré, demoiselle.
Anna : Merci Julia...

Anna demeure pensive. Le regard vide, elle interroge sa confidente, pendant que celle-ci nettoie délicatement la sonde.

Anna : Julia... Je pense que mon père me cache quelque chose.
La gouvernante : Pardon ?
Anna : Mon père... Je le trouve étrange. En fait, je l'ai toujours trouvé étrange !
La gouvernante : Pourquoi pensez-vous ça de lui ? Monsieur Hartmann est un homme tout à fait honorable. Il est brillant, cultivé, ambitieux. Il s'est toujours occupé de vous, non ?
Anna : Vous avez raison mais je sens qu'il me cache un secret. Pourquoi avons-nous quitté l'Allemagne ? Pourquoi ne sommes-nous pas restés dans la famille à Düsseldorf ?
La gouvernante : Je ne sais pas, Anna. Votre père ne m'a jamais parlé de son passé. C'est un homme réservé, vous savez.
Anna : Réservé ? (Moment de silence) Moi, je le trouve inquiétant... Très inquiétant...


Bois de Seraing. Samedi 17 janvier. 21 heures 54.

La pluie tombe en cordes perçantes et acides sur les hauteurs tranquilles de Seraing, une localité industrielle située au sud de Liège. L'orage n'est pas loin ; il est annoncé par de fluets grondements et avance lentement en direction de l'est.

Au coeur de l'immense étendue boisée reliant Seraing à ses villages environnants, un homme muni d'une lampe de poche s'adonne à un étrange manège. La caméra descend lentement à la verticale et laisse découvrir les agissements inquiétants de ce personnage.

Scène suivante : la caméra filme en gros plan le visage atrocement défiguré et noirci d'une jeune femme. La fermeture Eclair, dans un bruit sec, relie brusquement les deux flancs de la housse. Le cadavre est entièrement recouvert. Les grondements de l'orage s'accompagnent désormais de puissants éclats lumineux. La pluie froide et piquante transforme le sol en un tapis de boue crasseux et glissant.

Hartmann (filmé en contre-plongée) : Le moment de grâce est arrivé, Mademoiselle Laura. J'ai attendu cet instant toute ma vie...

Hartmann s'abaisse, fait rouler lentement le corps vers une fosse fraîchement creusée, et recouvre ensuite le cadavre avec la terre déposée.

Hartmann : Reposez en paix, jeune fille. Et si vous vous sentez profondément seule en ce lieu, sachez que vos petits camarades vont bientôt venir vous rejoindre...

Sur ces paroles, un coup de tonnerre surgit, suivi d'un « flash » particulièrement intense, éclairant la quasi totalité de la surface boisée.

La caméra fixe la terre recouvrant le fossé et s'éloigne progressivement à la verticale. Une musique glauque accompagne la scène.


Liège. Office de Police. Vendredi 16 janvier.

Travelling avant lent sur le troisième étage du bâtiment.

Arnaud : Je ne veux pas aller en prison. Je n'ai fait que me défendre.
Inspecteur : Ecoutez. Nous verrons ce que le juge d'instruction décidera.
En attendant, nous allons continuer l'interrogatoire... Arnaud, dites-moi la vérité. Où vous êtes-vous procuré cette arme ?
Arnaud : Monsieur Barnier me l'a offerte.
Inspecteur : Monsieur Barnier ? Pour quelle raison ?
Arnaud : Pour me défendre ! Monsieur Barnier avait peur pour moi. Il voulait que je sois en sécurité. Alors il m'a... Il m'a donné cette arme.
Inspecteur : Pourquoi « en sécurité » ?
Arnaud (embarrassé) : Je... Je ne sais pas. Il tenait sans doute à moi.
Inspecteur : Il tenait à vous ? Moi aussi, je tiens à mes enfants, mais ce n'est pas pour ça que je vais leur offrir un Magnum 45 !
Arnaud : Il n'a pas d'enfant et je suis son petit protégé, voilà tout.
Inspecteur : Mais vous êtes jeune ! On ne donne pas une arme comme ça à un jeune ! C'est de l'inconscience !
Arnaud : Ce n'est pas une arme, je vous dis ! C'est un jouet, voilà tout !
Inspecteur : Non ! Non, non, non, Arnaud ! Je ne suis pas d'accord avec votre vision des choses. Vous aviez des balles à blanc dans ce révolver ! Auriez-vous la mémoire courte ?
Arnaud (agacé) : Ecoutez... Je n'ai JAMAIS eu l'intention de tirer sur qui que ce soit. Je me suis défendu, point barre !
Inspecteur : Légitime défense, je sais.
Arnaud : Alors, tout ce que je demande, c'est qu'on me fiche la paix !
Inspecteur : Qui sont ces amis avec qui vous traînez souvent ?
Arnaud : « Ces amis » ? Quels amis ?
Inspecteur : Vous voyez très bien de qui je veux parler.
Arnaud : Et bien, je ne vois pas !
Inspecteur : On se pose pas mal de questions à votre sujet.
Arnaud : Des questions ? Et quels genres de questions ?
Inspecteur (se rendant compte de l'impertinence de ses propres questions) : Laissez tomber.
Arnaud : Je suis un jeune homme tout à fait normal. Je fais des études, j'ai une compagne, je sors, je profite de la vie. Et en plus, je ne fume pas !!
Inspecteur : C'est tout à votre honneur. Je vous en félicite, Arnaud. Mais le juge d'instruction ne va pas seulement se baser sur cette facette édulcorée de votre existence.
Arnaud : Elle n'est pas édulcorée. Ce n'est pas parce que je possède une arme que je suis un délinquant !
Inspecteur : Je n'ai pas dit ça !
Arnaud : Alors, vous allez faire quoi ? Ca ne sert à rien que je justifie mes actes puisqu'apparemment vous avez déjà pris votre décision.
Inspecteur : Pour le moment, je vous avoue que la seule décision que nous avons prise est de vous mettre en détention préventive.
Arnaud : En détention préventive ?
Inspecteur : Oui. Vous avez bien entendu...
Arnaud : En clair, ça signifie quoi ?
Inspecteur : Vous êtes étudiant en psychocriminologie... Je n'ai pas besoin de lever le coin du voile sur ce qui vous attend...
Arnaud : Vous allez me mettre en prison, c'est ça ?
Inspecteur : ...
Arnaud : Répondez-moi ! Allez-vous me mettre en prison, oui ou non ?
Inspecteur : Je suis désolé pour vous, Arnaud... Vous avez franchi une limite. Et le pire, c'est que vous n'en avez pas encore pris conscience...
Arnaud : ...