Liège. Office de Police. Vendredi 16 janvier.
Travelling avant lent sur le troisième étage du bâtiment.
- Dites-moi exactement ce qu'il s'est passé.
Le local aux murs vides et sombres est à peine éclairé. L'atmosphère est austère. Stricte. Presque opprimante. La caméra tourne autour des deux personnages assis en face à face autour d'une table.
Arnaud : Lorsque je suis arrivé à l'appartement de Monsieur Barnier, la double porte était fracturée. Tous les meubles, les papiers, les objets d'art que collectionnait Monsieur Barnier, tout était mis sans dessus-dessous. Ma copine et moi avons vérifié s'il n'y avait personne dans les autres pièces.
Inspecteur : Vous avez vérifié mais... Avec une arme.
Arnaud : Cette arme n'est qu'une reproduction mais je suis le seul à le savoir. Elle est la réplique parfaite d'un Magnum 45.
Inspecteur : Ensuite, vous avez appelé la police.
Arnaud : Monsieur Barnier a appelé la police à partir de son portable. Le fil du fixe avait été coupé.
Inspecteur : Et ensuite ?
Arnaud : Je suis sorti pour me diriger dans le couloir. En fait, je voulais fermer la porte. Après coup, c'était stupide parce que nous ne pouvions pas la refermer correctement !
Inspecteur : Dans le couloir, vous avez entendu un bruit suspect, c'est bien cela ?
Arnaud : Oui. Je me suis alors dirigé avec mon arme vers le fond du couloir. C'est à ce moment-là qu'un homme a surgi hors d'un renfoncement.
Inspecteur : Comment était-il ? Plutôt grand ou plutôt petit ? Corpulence mince, normale ou forte ?
Arnaud : Il était normal mais assez grand. Sa voix était claire, grave et assez jeune.
Inspecteur : Vous souvenez-vous des paroles qu'il a prononcées ? Vous a-t-il dit l'une ou l'autre chose susceptible de nous intéresser ?
Arnaud : Je... (Long silence) Excusez-moi, je... Je n'arrive pas à me remémorer ce genre de détail.
Inspecteur : Vous êtes encore sous le choc, c'est normal. Je suis navré d'avoir été aussi rapide avec vous mais cette histoire prend une ampleur inquiétante. Vous savez mieux que moi que ce qui vous arrive n'est pas anodin, que derrière cet incident il y a d'autres dangers qui se préparent. Des dangers auxquels vous et vos amis allez être confrontés.
Arnaud : Je sais... Inspecteur, pourquoi la police n'a-t-elle rien fait depuis la mort de Mélanie ?
Inspecteur : Monsieur Barnier a pris directement contact avec nos services dès le lendemain du drame. En réalité, il n'a jamais osé vous dire que certains membres bien ciblés avaient reçu des menaces de mort.
Arnaud : Pardon ?
Inspecteur : Vous avez bien entendu.
Arnaud : Des menaces de mort ? Mais... Mais de qui ?
Inspecteur : Voilà une excellente question, jeune homme. Malheureusement, la réponse fait défaut !
Arnaud : Vous... Vous avez reçu des menaces écrites ?
Inspecteur : Vous savez... Les membres du personnel qui ont reçu ces menaces étaient celles qui auraient dû prendre en charge l'enquête. A vrai dire, on ignore comment ces membres de la police ont été repérés ; cette précision dans le choix des cibles nous a même amenés à croire que les destinateurs de ces menaces se trouvaient en réalité au sein même de la... Police.
Arnaud : Vous plaisantez ?
Inspecteur : Non. Non, je ne plaisante pas.
Arnaud : Mais vous... Vous avez décidé de ne rien faire alors ?
Inspecteur : Si. Nous avons décidé d'agir. Nous avons fait analyser ces lettres. Je ne sais pas qui sont ces étranges personnages qui sèment la panique au sein de votre groupe, mais je peux vous assurer qu'ils sont très doués.
Arnaud : Très doués ? Pour quelle raison ?
Inspecteur : Lorsque nous avons analysé ces lettres de menace, il est apparu qu'aucune trace d'ADN n'était repérable sur les papiers qui ont servi de support aux messages. Il faut dire que nos techniques, certes très évoluées, ne peuvent pas encore tout résoudre.
Arnaud : Mais... Qu'en est-il de notre protection ?
Inspecteur : Ma réponse risque d'être choquante. Elle l'a été pour Monsieur Barnier, et elle sera pour vous aussi : nous n'avons ni les moyens matériels ni les ressources nécessaires pour vous protéger vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Arnaud (l'air inquiet) : Dites-moi simplement que je suis en train de vivre mes derniers jours.
Inspecteur (surpris par cette déclaration) : Ecoutez... Ces types sont des professionnels. Ils sont prêts à tout. Vraiment à tout. Croyez-moi...
Arnaud (appuyant son front sur ses mains) : ...
Inspecteur : Nous allons faire notre possible.
Arnaud : Et moi, vous allez me mettre en taule, c'est ça ?
Inspecteur (long silence...) : Reprenons les questions si vous le voulez bien...
Liège. Rue Louvrex. Cabinet du Docteur Werner.
Grégory est installé dans un large canapé de cuir blanc. En face de lui, le Docteur Henry Werner, un psychiatre dont le visage paisible contraste avec son impressionnante carrure.
Dr Werner : Grégory, je vous suis depuis maintenant deux années. J'essaie de vous connaître, de cerner vos angoisses. Mais depuis quelque temps, votre état me préoccupe. Je ne vous ai jamais connu aussi... anxieux.
Grégory (moment de silence, visage abaissé) : ...
Dr Werner : C'est la mort de Mélanie qui a tout déclenché, n'est-ce pas ?
Grégory : Oui.
Dr Werner : Vous n'êtes plus le même. Que représentait Mélanie à vos yeux ?
Grégory (des larmes coulent le long de ses joues creuses) : Elle était tout pour moi.
Dr Werner : Tout... ? Pourriez-vous être plus explicite ?
Grégory : Je... (Sanglots) Je la considérais comme... (Silence)
Dr Werner : Vos peurs viennent de sa mort. Vous confirmez ?
Grégory (tente de reprendre son calme) : Oui.
Dr Werner : Vous sortiez avec Mélanie ?
Grégory : Non. Non... Je ne sortais pas avec elle.
Dr Werner : Quelle relation entreteniez-vous avec cette jeune femme ?
Grégory : Nous avons grandi... Ensemble. Comme j'étais plus âgé qu'elle, elle me considérait comme son grand frère.
Dr Werner : Pourriez-vous décrire avec plus de précisions ce genre de relation ?
Grégory : Nous n'étions pas amoureux l'un de l'autre. Mais... C'était comme un lien fraternel. Inexplicable. Nous passions beaucoup de temps ensemble.
Dr Werner : Comment l'avez-vous rencontrée ?
Grégory : Je ne peux pas répondre à cette question.
Dr Werner (surpris) : Bien... Bien, bien. Je respecte votre choix.
Grégory : Je préfère.
Dr Werner : J'aimerais revenir sur vos rêves. Ils semblent tous tourner autour d'une notion récurrente chez les patients angoissés ; je veux parler de la peur. J'ai le sentiment que votre esprit est alimenté par une peur constante. Je passerai les distinctions pompeuses généralement faites entre la peur, la crainte et l'angoisse. Pour simplifier, j'ai le sentiment que vous êtes la victime de vos propres peurs et, en particulier, celle de la mort.
Grégory : Sans doute.
Dr Werner : Assurément, Grégory. Assurément. La peur archaïque de la mort peut être obsédante. Elle se manifeste par un profond changement dans le comportement corporel. Les réponses du corps sont claires à ce sujet. Vous dites faire des cauchemars. Les scénarios de ceux-ci en disent long sur votre angoisse. Mais il y a un souci... Un gros souci.
Grégory : Lequel ?
Dr Werner : Grégory, vous venez à mes consultations depuis près de deux ans et, à vrai dire, j'ai le sentiment de ne pas savoir grand-chose de vous. Vous... (Hésitation et moment de réflexion) Vous me dissimulez beaucoup d'éléments de votre passé.
Grégory : Je ne pense pas, non.
Dr Werner : Réfléchissez bien, Grégory. Si vous ne consentez pas à me livrer une part de vous-même, je ne pourrai jamais vous aider et votre situation ne fera qu'empirer.
Grégory (décontenancé par cette déclaration) : Que voulez-vous savoir ?
Dr Werner : Où sont vos parents ? Que font-ils ? Comment se sont-ils comporté avec vous ? Vous ne m'avez jamais parlé d'eux.
Grégory : Je... Je n'ai pas à parler de mes parents !
Dr Werner : Vous m'avez parlé d'un certain Barnier. Qui est ce Barnier ?
Grégory (dérouté) : Je... Je n'ai pas à vous le dire. C'est juste... C'est juste un ami.
Dr Werner : Grégory. Soyez sérieux... Soyez sincère, surtout ! Vous ne m'en avez jamais parlé comme d'un ami. Il joue un autre rôle dans votre existence, n'est-ce pas ?
Grégory (agacé) : Sincère ? J'ai toujours été sincère avec vous !
Dr Werner : Mais pourquoi ne me dites-vous rien sur cet homme ?
Grégory : C'est mon père de substitution. Ne me demandez pas de vous en dire plus.
Dr Werner : J'ai l'impression que vous n'êtes pas sérieux dans votre collaboration. Je vous rappelle très gentiment que je suis là pour vous aider.
Devant l'attitude effrontée du psychiatre, Grégory se lève brusquement.
Grégory : Pas sérieux ? Personne n'a jamais osé me dire une chose pareille !
Dr Werner : Grégory... Je...
Le jeune patient, désabusé par l'attitude du docteur, prend son manteau et fouille dans l'une de ses poches pour en sortir un billet de 50 Euros. Il adresse fermement une dernière parole à son confident.
Grégory : Personne n'a à savoir qui je suis ! Vous comprenez ? Personne ! Je vous demande juste de m'aider. Rien de plus.
Dr Werner (confus) : Je... Je n'ai pas voulu vous offenser, Grégory, mais...
Grégory : Ecoutez, ça n'a aucune importance de savoir comment j'ai grandi, qui étaient mes parents, s'ils m'aimaient, s'ils prenaient soin de moi, s'ils s'occupaient de mes devoirs à la maison, s'ils me consolaient quand j'avais besoin de leur soutien.
Dr Werner : Grégory...
Grégory : Dr Werner, ma vie ne m'appartient pas. Mes amis ne savent rien de moi. Je ne suis qu'un objet. Vous entendez ça ? Un bête petit objet qu'une bande de déglingués sans scrupules essaie de faire disparaître ! Ca vous convient comme explication ?! Personne ne nous aide. On nous laisse à la merci des pires psychopathes que cette société de m... génère !
Dr Werner : On « nous » laisse ?
Grégory : Tenez, voilà votre argent. Et merci de m'avoir écouté !
Dr Werner : Je...
Grégory : Pas la peine de me raccompagner. Je connais la sortie !