Eupen. Nationale 67. Mercredi 31 décembre 2008. 18 heures 12.
Dans un mouvement de spirale, la caméra descend très lentement en direction de la route enneigée. Des voix s'entremêlent dans l'obscurité du soir.
- Tension à 8/6 !
- On intube ! Vite ! Prenez un 7,5 !
- Le 7 serait plus recommandable, non ?
- Non, le 7,5 ! C'est pas une gamine !
- Pour le Solu-Médrol : cent vingt milligrammes !
- Ajoutez l'Adrénaline. Dosage normal. Cinq milligrammes, ce sera suffisant !
Dans ce décor sombre et humide, l'hiver de décembre dépose son tapis blanc sur les couloirs boisés bordant la nationale. Des secouristes penchés sur les corps de Rachel et Greg précipitent leurs gestes précis dans un méli-mélo d'abréviations médicales. La police est là aussi ; gyrophares en action, elle enjoint les automobilistes de ralentir.
- L'électro n'est pas bon, Docteur ! Regardez le tracé !
- Nom de Dieu, le coeur lâche ! Fibrillation cardiaque ! Dépêchez-vous ! Amenez le défibrillateur !!
- On démarre à 300, Docteur ?
- Non, non, non ! 200 ! 200 joules !!
- Tu vas pas quitter le navire comme ça, hein, mon gars ? Dis-moi que tu vas t'en sortir !
- Je frotte et on fait les chocs ! Tenez-vous prêts !
- Ecartez-vous !
- Attention... C'est parti !
- Ecartez-vous !
- Un... Deux... Trois...
Impulsion. Le thorax se soulève subitement en formant un arc.
- Fibrillation !
- Mets à 300 !
- On recommence !
- Prêt !
- Un... Deux... Trois...
Impulsion. Regards inquiets. Temps mort.
- Bon sang, mais qu'est-ce qu'il fiche !!
- Injecte l'A.R. (anti-arythmique) et on recommence !
- On monte à 360, les gars !
- A.R. dosé.
- Prêt ?
- On y va !
- Un... Deux... Trois...
Nouvelle impulsion. Regards inquiets. Le corps dessine une impressionnante courbe dans un mouvement brusque.
- Réveille-toi, bon sang !! Réveille-toi !!
- On recommence !
- 360 !
- Dégagez !
- Dégagez, les gars !
- Let's go !
- Un... Deux... Trois...
- Réveille-toi, je t'en supplie... Réveille-toi !
- Réveille-toi...
Liège. Rue Raikem. Vendredi 16 janvier 2009. 8 heures 27.
Rachel : Hé, Greg. Greg... Réveille-toi !
Sous son épaisse couverture blanche, Grégory se retourne et se tasse. Il soulève lentement son regard vers Rachel, assise près de lui au bord de son lit. Ses paupières sont encore lourdes. Sa barbe de trois jours et son teint halé lui donnent un air aventurier. Avec son coude, il s'appuie sur son oreiller et frotte ses yeux du bout de ses doigts.
La chambre à coucher est lumineuse, tout autant que les autres pièces composant cet appartement aménagé dans une maison de maître du XIXe siècle. Celle-ci a le cachet de ces nombreuses demeures de pierres et de marbre que Liège compte encore dans son paysage architectural.
Grégory, trente-trois ans, s'est installé rue Raikem il y a environ cinq ans. A l'époque, il vivait seul et était médecin stagiaire au Service d'Endocrinologie du Centre médical de Liège. Aujourd'hui, il travaille toujours au sein de cette même unité, comme premier assistant.
Rachel : Greg, s'il-te-plaît... Réveille-toi... Je viens d'avoir Marc sur mon portable !
Greg éprouve quelque difficulté à sortir de son sommeil, malgré l'intense luminosité provenant de la grande baie vitrée occupant la quasi totalité d'un des murs de sa chambre à coucher.
Rachel : Je suis désolée de te sortir aussi brusquement de ton sommeil mais je viens de recevoir une très mauvaise nouvelle.
Greg : Rachel... Je... Je crois que j'ai fait un mauvais rêve.
Rachel : Pardon ?
Greg : C'était terrible... J'ai vraiment cru que j'allais mourir !
Rachel : Quel genre de rêve ?
Greg : Tu étais dedans.
Rachel : Et ?
Greg : Nous roulions sur une longue route boisée. Il y avait de la neige. C'était le soir... Le soir du réveillon de nouvel an.
Rachel : Que s'est-il passé ?
Greg : Un 4X4 nous suivait de loin. Il a allumé subitement ses gros phares, puis s'est rapproché. Ensuite... Ensuite, il nous a poursuivis.
Rachel : Poursuivis ?
Greg : Oui... Il y a eu...
Rachel : Il y a eu un accident, c'est ça ?
Greg : Oui. Il nous a tamponnés à plusieurs reprises. Notre voiture a dérapé et... Et... C'était terrible...
Rachel : Greg... Ce n'était qu'un mauvais rêve.
Greg : Rachel, je crois que... Je crois que je ne vais pas bien du tout.
Rachel pose délicatement sa main sur le front de Grégory. Elle suit son regard des yeux, l'observe tendrement comme pour le consoler en silence.
Rachel : Greg, j'ai appris une mauvaise nouvelle ce matin.
Greg (inquiet) : Qu'y a-t-il ?
Rachel : Marc m'a contacté. On a cambriolé l'appartement de Barnier.
Greg (en sursaut) : Quoi ? Tu... Tu plaisantes, j'espère ?
Rachel : Malheureusement, non. Barnier a été cambriolé et... (Moment de silence) ce qui est arrivé est très grave.
Greg : C'est-à-dire ?
Rachel : Un individu armé était présent sur les lieux. Il a tenté de s'en prendre à Barnier mais également à... Arnaud, qui était accompagné de Sarah, sa copine.
Greg : Arnaud ? Mais que faisait-il là ?
Rachel : Un message lui aurait été envoyé sur son portable, l'avertissant qu'on avait retrouvé Laura et qu'il devait se rendre immédiatement chez Barnier.
Greg : Mais... Mais ils jouent à quoi ces gens ? C'est quoi ces méthodes à la mords-moi le noeud ?!
Rachel : Ils s'amusent. Ils savent où nous sommes, ce que nous faisons. Ils connaissent les moindres détails de notre vie. Ils jouent avec nous. Ils savent aussi que la police est impuissante. De toute façon, comment la police pourrait-elle surveiller dix personnes vingt-quatre sur vingt-quatre, sept jours sur sept ? Ils ne sont pas dupes !
Greg : Qu'est-il arrivé à Arnaud et Barnier ?
Rachel se met à sangloter. Des larmes coulent le long de ses fines joues.
Greg : Rachel, qu'est-il arrivé ?
Rachel : Il... Il ne leur est rien arrivé. Mais...
Greg : Mais ?
Rachel essaie de reprendre son calme. Sortant un fin mouchoir de sa poche, elle essuie ses paupières.
Rachel : Arnaud, lui aussi, était armé...
Greg : Le Magnum... C'est bien ça, n'est-ce pas ?
Rachel : Oui, le Magnum.
Greg : Que s'est-il passé ?
Rachel : ...
Greg : Que s'est-il passé, Rachel ?
Rachel : Il... Il était chargé.
Greg : Chargé ?
Rachel : Oui, chargé. Il a pointé l'arme sur le gars.
Greg : Il a tiré, n'est-ce pas ?
Rachel : ...
Greg : Nom de Dieu...
Plan rapproché sur le regard de Rachel. Ses lèvres tremblent. Son regard se vide. Le temps vient de suspendre son cours.
Greg : Viens. Approche-toi...
Rachel : Qu'est-ce qu'on va devenir... ? Qu'est-ce qu'on va devenir, Greg ?
Enlaçant Rachel, Grégory ferme ses yeux, tout en posant son visage sur l'épaule de la jeune femme. La caméra s'éloigne lentement du couple assis sur le lit. Elle sort de la chambre et laisse découvrir l'aménagement du vaste salon qui la précède.