samedi 24 janvier 2009

EPISODE 10 : PEUR ARCHAÏQUE (Partie 1)

Liège. Jeudi 15 janvier 2008. 20 heures 12.

Sur des chants chorals empreints de mystère, la scène démarre avec un lent survol de la Meuse, dans le sens sud-nord du circuit fluvial. L'hélicam passe au travers des câbles reliés à l'unique pylône du pont haubané du Val Benoît, un quartier industriel du sud de Liège. Il rejoint ensuite le pont de Fragnée, dont les arcs sous la travée sont éclairés par des touches lumineuses d'un bleu violacé. L'hélicam, en s'avançant vers cette structure métallique construite dans les premières années du XXe siècle, effleure, tout en accomplissant une circonvolution, l'un des quatre anges en or fin - les "Renommées" - répartis aux deux terminaisons du pont. Il continue sa trajectoire, à une quinzaine de mètres au-dessus du niveau de l'eau, en direction d'un puissant jet d'eau vertical et longiligne, haut d'une vingtaine de mètres. Celui-ci est situé à la pointe sud d'une parcelle de terre où se trouve un vaste parc entourant un palais construit pour l'Exposition universelle de 1905. Cet îlot sépare la Meuse en deux bras : à gauche, le fleuve, à droite, sa dérivation. L'hélicam emprunte le cours principal à gauche, se rapproche de la surface de l'eau et ralentit sa course pour tourner lentement son objectif vers la berge de l'île, où trône, à l'extrémité nord du parc, le Centre de Conférences de Liège. La façade sobre et rectangulaire de ce bâtiment, pur joyau de l'art moderne, est composée de larges carrés vitrés, reflétant comme un miroir les lumières des appartements de l'autre rive. Ce « mur » de verre offre au regard des passants une exceptionnelle mosaïque de brillances colorées.

L'hélicam opère un travelling lent sur ce lieu hautement renommé. Une voix accompagne l'image, celle du Professeur Pierre Letellier, archéologue chevronné et organisateur d'un colloque scientifique sur l'analyse sociologique des crimes et délits au Moyen Âge. Son discours « s'immisce » dans le travelling avant du bâtiment.

P. Letellier : Liège est une ville au passé millénaire, dont l'histoire est nourrie de troubles, de terreur, de craintes, de joies et d'espérance. Elle est un formidable laboratoire archéologique pour comprendre nos ancêtres et la vie que ceux-ci menaient il y a plus de cinq siècles...

La scène de l'hélicam, opérant un travelling avant sur la façade, laisse peu à peu place à un autre travelling latéral sur un auditoire de six cents places, plongé dans l'obscurité. Spécialistes de haut rang, étudiants et amateurs d'histoire écoutent dans un silence olympien l'exposé du médiéviste. Derrière l'expert appuyé sur son pupitre, un écran géant diffuse des images déroutantes de condamnations à mort factices.

P. Letellier : Regardez cette guillotine sur l'écran. Savez-vous d'où elle provient ? Elle a été utilisée après la révolution française de 1789. Entre 1796 et 1824 précisément. A Liège même. La place aux Chevaux a « accueilli » cette guillotine trente années durant. Et connaissez-vous le nom actuel de ce lieu ? (Le public murmure quelques réponses.) Place de la République française, Mesdames, Messieurs ! L'un des coins les plus fréquentés du centre-ville ! Je vous laisse imaginer, avec le sourire au coin des lèvres, le nombre de fantômes décapités vagabondant dans la foule affairée depuis près de deux siècles ! (Rires modérés dans la salle.) Mais quelle est la pertinence d'un tel objet dans le sujet qui nous occupe ce soir ? En réalité, mon objectif est de vous présenter un Moyen Âge qui n'a jamais eu le monopole de la barbarie. Certes, la violence physique des châtiments instaurés par les autorités civiles n'ont pas réussi à redorer l'image d'un Moyen Âge déjà affecté par la peste, la famine, la rusticité de la paysannerie, l'intolérance de l'Eglise et l'orgueil belliqueux des seigneurs. Si la peur archaïque de la mort fut un excellent moyen de contrôler les esprits rebelles à cette époque, elle ne le fut pas seulement au « temps de la féodalité ». Considérez à partir de ce jour que cette période tant décriée par les incultes a aussi connu ses raffinements philosophiques, littéraires, artistiques, vestimentaires et linguistiques... La barbarie n'appartient pas au Moyen Âge : elle fut pratiquée aussi bien dans l'Antiquité que dans les siècles des Temps modernes. La guillotine derrière moi en est la preuve vivante. Et pour cause : elle a été utilisée il y a moins de deux siècles, à quelques pas d'ici...


Au coeur de l'assemblée, un jeune homme fixe attentivement l'image de l'instrument de torture. Arnaud Dechêne a vingt-trois ans et étudie la psychocriminologie à l'Ecole supérieure des Sciences humaines de Liège. Au même titre que Marc Lejeune, Caroline Leroy, Grégory Laurent et Rachel Beaujean, il est un « protégé » de Georges Barnier. Accompagné de sa petite amie Sarah, il attend avec impatience un face à face avec le Professeur Letellier. Tout à coup, son portable placé en mode « vibreur » annonce le message textuel d'un destinateur anonyme : « On a retrouvé Laura ! Rendez-vous chez Barnier ce soir dès que tu peux ! ».

Arnaud (à voix basse) : Sarah, regarde le SMS.
Sarah (lit le message) : Laura ?
Arnaud : Elle a été retrouvée, apparemment. Il faut qu'on sorte d'ici.
Sarah : Mais qui t'a envoyé ça ?
Arnaud : J'en sais rien mais il faut qu'on parte !
Sarah : Attends... C'est peut-être un piège !
Arnaud : Ecoute, je veux savoir ce qui se passe.
Sarah : Maintenant ?
Arnaud : Oui, maintenant !
Sarah : Ecoute, je ne crois pas que...
Arnaud : Viens, dépêche-toi !
Sarah : Mais... Tu voulais discuter avec Letellier après son exposé !
Arnaud : Laura est plus importante ! Viens !

Les deux jeunes gens se lèvent et tentent de rejoindre avec discrétion l'extrémité de la rangée.

Scène suivante : d'un pas pressé, ils sortent de l'immeuble et se dirigent vers la voiture d'Arnaud. La caméra filme le couple s'introduisant dans le véhicule.

Place Saint-Lambert. 20 heures 34.

Arnaud : Je vais entrer dans le parking du sous-sol de la place. Il donne un accès direct à l'immeuble de Barnier.
Sarah : Mais c'est payant !
Arnaud : T'en fais pas pour l'argent ! Barnier m'a toujours remboursé mes places de parking !
Sarah : Ah bon... Il faudra quand même un jour que tu m'expliques plus longuement qui est ce « Barnier ».
Arnaud : C'est une trop longue histoire. Je le considère comme un père de substitution, c'est tout !
Sarah : En tout cas, il a l'air très généreux !

Le jeune étudiant gare sa voiture sur l'un des douze emplacements réservés au nom de son « protecteur ».

Sarah (surprise) : Et bien, je vois que « Monsieur » a sa place réservée !
Arnaud (inquiet) : C'est bizarre, il n'y a aucune voiture sur les emplacements !
Sarah : Pourquoi est-ce bizarre ?
Arnaud : Réfléchis... Si j'ai été prévenu, les autres devraient l'être aussi ! Leurs voitures ne sont pas là ! Et Barnier aussi est absent, apparemment !
Sarah (après quelques secondes de réflexion) : Arnaud... Je pense qu'on aurait dû rester dans la salle.
Arnaud : Attends... Je vais quand même vérifier si Barnier est là. (Arnaud sort un Magnum 45 de son manteau).
Sarah : Mais... Mais c'est une arme ! Qu'est-ce que...
Arnaud : Ne me pose pas de question. Suis-moi...
Sarah : Fais gaffe, tu ne vas quand même pas te « promener » avec cet engin à la vue de n'importe qui ?!
Arnaud : Je le prends avec ; ça peut toujours servir ! Je sais ce que je fais !
Sarah : OK... Comme tu voudras !

Sortant de la voiture, Sarah et Arnaud marchent en direction de l'entrée des caves de l'immeuble.

Arrivés devant l'ascenseur, Arnaud prévient Barnier via un parlophone. L'homme ne répond pas. Au bout de quelques secondes d'attente, Arnaud refait un essai. Le silence se fait long.

Tout à coup, les deux jeunes gens entendent une voix grave marmonnant quelques mots confus dans leur dos. Ils se retournent.

Arnaud : Monsieur Barnier ! Mais que faites-vous là ?
Barnier (titubant) : Ho... Arnaud... Mon petit Arnaud... Vous... Vous êtes là...
Arnaud : Oui, j'ai reçu un message sur mon portable m'annonçant que vous aviez retrouvé Laura.
Barnier (sur un ton mélancolique) : Laura ? Je n'ai plus aucune nouvelle de Laura depuis des semaines.
Arnaud : Auriez-vous bu, Monsieur Barnier ? Vous allez l'air mal en point.
Barnier : J'ai... J'ai juste.... Bu un verre... Juste un...
Arnaud : Vous êtes parti en voiture ?
Barnier : En voiture ? Non... Non... J'crois qu'elle a disparu...
Arnaud : Vous n'êtes pas sorti avec votre voiture ?
Barnier : Non. Elle est restée dans le parking.
Arnaud : Mais votre voiture n'est pas dans le parking !
Barnier : Elle a disparu, j'vous dis...
Arnaud (s'adressant à Sarah) : Bon sang, il est complètement saoul. Viens, aide-moi à le soutenir. On va le remonter chez lui.
Sarah : Arnaud... Je... Je crois qu'on devrait rentrer. On ne devrait pas monter dans son appartement. J'ai un mauvais pressentiment.
Arnaud : Arrête de dire ça ! On va juste le remonter et on retourne chez nous.

La jeune fille empoigne le vieil homme pour le guider vers l'ascenseur. Ne se souvenant pas du code d'accès, Barnier envisage la solution de rechange : il introduit sa carte électronique dans une fente de réception. Les portes de l'ascenseur s'ouvrent. Tous les trois entrent et remontent vers le sixième étage.

Scène suivante : arrivée sur le palier du loft.

Barnier (surpris) : Regardez ! Ma porte est ouverte !
Arnaud (à voix basse) : Chut ! Ne faites aucun bruit !
Sarah (à voix basse) : Je le savais ! Je le savais ! Arnaud... On doit redescendre...
Arnaud (à voix basse) : Attends quelques secondes.

Lentement, le jeune homme s'avance vers l'entrée du loft. Son constat est sans appel : il découvre l'appartement de son « protecteur » sans dessus-dessous. Meubles, objets d'art, bibliothèque, ordinateur, écran à plasma... : tout a été volontairement jeté à terre. Arnaud se fraye délicatement un chemin parmi la paperasse étalée sur le sol. Barnier, anéanti devant ce « paysage chaotique », se met à trembler.

Sarah : Monsieur Barnier, qu'avez-vous ?
Barnier (lâchant la jeune fille) : II... Il faut que je retrouve mes papiers !
Arnaud : Ne parlez pas trop fort. Ils sont peut-être encore là.
Barnier : S'ils m'ont pris mes dossiers, je suis fichu !
Sarah : De quoi parlez-vous ?
Barnier (agacé) : Des dossiers très importants ! Bon sang, je m'absente pendant une heure tout au plus, et voilà le résultat !

Avec prudence, Arnaud se dirige vers les autres pièces de l'appartement. Pointant son Magnum vers les endroits suspectés, il ouvre placards, tentures, coffres et autres mobiliers susceptibles de dissimuler une présence humaine.

Arnaud (retournant dans la pièce principale où se trouve Sarah et Barnier) : Il n'y a personne !
Sarah : Il faut prévenir la police !
Barnier : Ils ont même coupé le fil du téléphone ! Je vais les appeler avec mon portable.

L'homme prend alors son téléphone mobile et forme le 112 pour prévenir le centre de dispatching des urgences. Pendant qu'il livre ses coordonnées, Arnaud et Sarah scrutent les moindres détails de ce décor « apocalyptique ». La voix de Barnier sert de bruit de fond à leur « quête » du moindre indice pouvant identifier les vandales.

Barnier : Voilà... Ils devraient arriver d'ici quelques minutes !
Arnaud : Je vais refermer la porte du hall. Nous l'avons laissée ouverte...

Le jeune étudiant se rend alors à l'entrée du loft. Avant de refermer la porte, son attention est attirée par un bruit suspect. L'arme en main, le regard interrogateur, il s'engage dans le long couloir sombre dont le mur – côté ascenseurs - est caractérisé par de profonds renfoncements tous les trois mètres. A chaque retrait mural, l'inquiétude d'Arnaud grandit. A tout moment, un individu mal intentionné pourrait surgir.

Soudain, à hauteur du cinquième recoin, Arnaud aperçoit un étrange objet déposé à terre. En s'avançant, il se penche pour observer ce qui, dans la pénombre, ressemble à un amas de cheveux blonds. En soulevant cette « perruque », il remarque une tache rouge sang sur le sol.

Tout à coup une voix s'exclame : Voilà ce qu'il reste de Laura !

Un homme sort brusquement du septième recoin, le visage recouvert d'une cagoule noire.

Arnaud (saisi, il relève son arme) : Qui... Qui êtes-vous ?! N'approchez pas !!
L'inconnu : Votre arme ne fonctionne pas, jeune homme. Il serait mal venu de m'intimider.

Arnaud recule tout en maintenant son arme en direction de la silhouette à peine visible qui s'avance lentement vers lui.

Arnaud : N'approchez pas, j'vous dis ! La police va arriver d'une minute à l'autre !
L'inconnu : Petit pestiféré ! Tu penses sincèrement que les flics m'impressionnent ?
(il sort de sa poche un taser)
Arnaud : Qu'est-ce... Qu'est-ce que vous avez dans votre main ? C'est quoi, ça ?!
L'inconnu : Ca, c'est une arme bien plus sophistiquée que celle qui est censée vous protéger, Monsieur « l'apprenti criminologue » !
Arnaud : C'est... C'est un taser que vous avez ? Comment avez-vous eu ça ? C'est strictement interdit !
L'inconnu (imitant le jeune homme sur un ton narquois) : « C'est strictement interdit ! » Vous êtes d'une naïveté désarmante, mon pauvre petit !

Arrivé au seuil de l'entrée, Arnaud se précipite à l'intérieur du loft. L'individu, toujours aussi désinvolte, ne semble guère se soucier de la situation. Il continue sa marche - lente mais déterminée - vers la porte de l'appartement.

Arnaud (refermant la porte d'entrée) : La carte ! Où est la carte, Monsieur Barnier ?! Dépêchez-vous !!
Barnier (surpris) : La carte ? Mais quelle carte ?
Arnaud : Votre carte d'accès pour refermer la porte !
Barnier : Il y a quelqu'un derrière la porte ?
Arnaud : Oui !! Trouvez-moi cette carte ! Vite !
Barnier : Mais qui... Qui est dans le couloir ?
Arnaud : Ne posez pas de question ! Trouvez-moi cette carte !
Barnier (fouillant ses poches) : Où l'ai-je mise ?
Sarah (affolée) : Dépêchez-vous !!
Barnier (tapotant son manteau) : Je... Je ne la trouve pas !
Arnaud : Votre porte ne se referme qu'avec la carte ?
Barnier (embarrassé) : Oui... Je... Je n'ai jamais eu de clé pour l'entrée !
Arnaud : Sarah, viens m'aider !

Dans ce dédale de meubles renversés, Sarah rejoint son petit ami pour l'aider à bloquer l'entrée. De l'autre côté, l'inconnu pousse de tout son poids ce « mur » métallique qui le sépare de ses futures victimes.

Une simple carte pour sauver trois vies. Juste une simple carte... Que Barnier ne retrouvera pas...