Liège. Dimanche 21 décembre 2008. 15 heures 34.
Travellings lents et successifs dans les allées des galeries couvertes du centre commercial.
Chaque année, le dimanche précédant la Noël, l'ouverture habituelle des magasins du centre-ville pousse nombre de Liégeois à s'aventurer dans les galeries commerciales qui parsèment la cité. L'achat du cadeau « des dernières minutes » demeure l'incontournable rituel des plus affairés. Au milieu de la foule pressée, Marc et sa fille admirent le scintillement des décorations. Le chatoiement de ces mises en scène colorées semble échapper à la vue des passants, mais il laisse entrevoir dans le regard de certains l'envie de recouvrer leur âme d'enfant enfouie dans le labyrinthe de leur mémoire.
Manon (fille de Marc) : Papa, papa... Regarde... Le Père Noël est là !
Marc : Où ça ?
Manon : Mais là ! Regarde !
Au bout d'une allée « noire » de monde, un Père Noël grassouillet attire l'attention des enfants par une voix grave et chaleureuse. (Travelling avant sur le personnage, comme si la caméra représentait les yeux de la fillette.) Un chant de Noël, se mélangeant au bruit de la foule, retentit aux différents étages composant les galeries.
Père Noël : Heeey, bonjour demoiselle. Comment vous appelez-vous ?
Manon : Manon !
P.N. : « Manon »... Mais quel joli prénom vous avez là, jeune princesse !
Manon : Merci !
P.N. : Alors, dis-moi, Manon, quel âge as-tu ?
Manon : Neuf ans !
P.N. : Wouaw, déjà une grande fille ! As-tu été sage cette année ?
(Manon regarde son père d'un air dubitatif.)
Manon : Je pense que oui !
P.N. : Hahahaha... Tu PENSES que oui ! Tu n'es pas plus sûre que ça ?
Manon : Heu si... Si, si ! J'ai eu de très bonnes notes à l'école !
P.N. : Si tu as eu de très bonnes à l'école, alors je ne peux que te féliciter ! (Le Père Noël gratte avec un air pensif son menton dissimulé sous une épaisse couche de poils synthétiques blancs.) Cependant, avoir de bonnes notes ne suffit pas. As-tu... (Le père Noël s'approche de la petite fille et lui susurre à l'oreille une question.) As-tu été sage avec ton papa et ta maman ?
Manon (gênée par la question, baisse son visage) : Je n'ai plus de maman.
P.N. (embarrassé par cette réponse) : Ho ! Je suis désolé... Je... Je le savais mais je deviens vieux et j'oublie beaucoup de choses ! Excuse-moi.
Marc : Manon est une fille très courageuse et très sage. Elle m'aide comme elle le peut à la maison.
P.N. : Hoooo... Et bien, c'est une excellente nouvelle ! (Le Père Noël tire d'un énorme sac en toile de jute un présent soigneusement emballé dans un papier glacé.) Tiens ! Voilà un petit cadeau pour toi, Manon.
Manon : Merci !
P.N. (se baissant pour s'approcher du visage de la fillette) : Je voudrais que vous me fassiez une promesse, jeune fille.
Manon : Oui ?
P.N. : Promettez-moi d'être la plus sage des petites filles ! Faites-le pour moi... et pour votre maman qui vous regarde de là-haut.
Manon : D'accord !
P.N. (frottant avec la large paume de sa main la chevelure de Manon, le Père Noël s'adresse à Marc) : Prenez-en bien soin !
Marc : J'y veille chaque jour ! Vous pouvez compter sur moi !
P.N. : Joyeux Noël à vous deux et profitez de ce précieux moment en famille ! A l'année prochaine, jeune princesse...
Marc et sa fille s'éloignent du Père Noël en lui faisant un signe d'au revoir. Soudain, la sonnerie du téléphone portable de Marc retentit. Le destinateur n'est pas référencé dans son répertoire. Il décroche tout en recommandant à Manon de ne pas s'éloigner.
Marc : Allô ?
(Marc a pour seule réponse une respiration lente et bruyante).
Marc : Allô ? A qui ai-je l'honneur ?
La voix (basse et monocorde) : Marc Lejeune, 34 ans... Inspecteur de police, c'est bien cela, n'est-ce pas ?
Marc : Pardon ?
La voix : J'ai beaucoup entendu parler de vous. Un brillant homme. Sportif, drôle, intelligent et très apprécié de ses amis.
Marc : Mais qui êtes-vous ? Je vous entends très mal ! Parlez plus fort !
(Manon s'adresse à son père.)
Manon : Regarde, papa... Là-bas, les jeux vidéo !
Marc : Ne t'éloigne pas, Manon !
Manon : Je vais juste regarder les jeux vidéo à la vitrine !
La voix : Vous semblez fort occupé. Vous êtes en famille ?
Marc : Ecoutez... Ayez au moins la politesse de vous présenter ! Qui vous a donné mon numéro de portable ?
La voix : Vous devriez le savoir, Monsieur Lejeune. Vous savez qui nous sommes ET vous savez aussi ce que nous voulons.
Marc : Non, je ne sais pas qui vous êtes et ce que vous voulez ! Je commence à en avoir assez de vos cachoteries ! Vous nous avez enlevé Mélanie, et Laura est toujours hospitalisée à cause de vous !
La voix : Hooo... Quel triste sort, n'est-ce pas ? Mais qui vous a dit que nous étions responsables de ces actes ?
Marc (agacé) : Arrêtez de me prendre pour un imbécile ! Ne cherchez pas à m'impressionner : j'ai la vengeance facile !
(Marc jette un coup d'oeil sur Manon qui reste en admiration devant la vitrine du magasin.)
La voix : Vous pourrez faire tout ce que vous voudrez mais il est trop tard pour vous. En fait, considérez que vous êtes déjà mort, Monsieur Lejeune.
Marc (à voix basse pour ne pas se faire remarquer) : Espèce d'enfoiré !! Si vous touchez à un seul cheveu de ma fille ou si vous osez vous en prendre à qui que ce soit du groupe, je...
La voix (coupant court au message de Marc) : Il ne sert strictement à rien de vous énerver, Monsieur Lejeune. Vous allez frôler l'infarctus si ça continue... Je vous souhaite un joyeux Noël. Profitez-en bien car celui-ci sera, à coup sûr, le dernier.
Marc : Attendez !! Ne raccro...
Un bip long et continu résonne au bout du fil. L'inconnu vient de raccrocher. Marc dirige son regard vers la vitrine où Manon l'attend. A sa grande surprise, Manon n'est plus là.
Marc : Merde ! Où est-elle passée ?
Marc se dirige vers le magasin. Il entre dans ce dernier, observe attentivement les enfants présents. Il appelle discrètement sa fille, espérant la voir entre deux rayons.
Marc : Manon... ? (La caméra se faufile dans les rayons, suivant Marc dans ses déambulations.)
Marc : Manon ? Où es-tu, bon sang ?
Manon ne répond pas à l'appel de son père. Marc s'aventure alors dans la grande allée couverte, bondée de gens plus soucieux de leurs achats que de la disparition d'une fillette. Son regard observe les moindres détails de la foule qui passe devant lui. Marc se met à crier.
Marc : Manoooon ! ...Manoooooon !!
(Il s'adresse à des gens choisis au hasard.)
Marc : Monsieur... Excusez-moi. Je recherche une petite fille couleur châtain d'environ 9 ans ? Ca ne vous dit rien ?
L'inconnu, chargé de cadeaux, répond sur un air pressé : Non, désolé...
Marc continue sa recherche. Il précipite le pas, tente de se frayer un chemin à travers la masse de badauds, bouscule les âmes tranquilles, rejoint les escalators, les descend, les remonte. Les devantures des commerces défilent devant lui. Les chansons mielleuses de Nat King Cole et de Julie Andrews accompagnent sournoisement la pénible recherche de sa fille.
Arrivé à l'entrée du centre commercial, Marc est complètement désorienté. Il cherche l'instant de grâce, cette seconde où il verra apparaître Manon au coin d'une rue. Mais Manon a bel et bien disparu. Marc ne lâche pas prise. Les minutes s'apparentent à des heures. Des heures d'une attente insupportable. Des heures d'une quête qui semble définitivement sans effets...
Marc : Manoooon !!!
Scène suivante : Marc dort dans sa chambre à coucher. Nous sommes dans la nuit du 21 au 22 décembre. Il est 3 heures 42. Marc se réveille brutalement. Travelling arrière du personnage dans son lit double.
Marc (en sueurs) : Manon !
Il se lève et se dirige tout droit vers la chambre de sa fille. Il pousse la porte déjà entrouverte et aperçoit Manon dormant d'un sommeil tranquille. Il s'approche et fixe l'heure indiquée sur le réveil de la table de chevet.
Scène suivante : Lundi 22 décembre. 8 heures 39. Atmosphère silencieuse et paisible. Large plan fixe sur la façade de la résidence de Marc, une petite villa située dans un quartier paisible de Liège.
Marc ouvre la porte d'entrée. Il se dirige vers sa boîte-aux-lettres (cadrage sur cette dernière, d'où Marc sort un abondant courrier.) Se dirigeant d'un pas pressé vers l'entrée de la maison, le jeune homme, après avoir lu les provenances de toute cette paperasse, s'arrête brusquement. En dépliant une lettre accompagnant une enveloppe, il déchiffre un court message rédigé avec une écriture au graphisme irrégulier.
Marc (lisant le contenu) : « Ne cherchez plus à vous protéger. Il est trop tard... Laura est désormais entre nos mains.»
En ouvrant l'enveloppe, Marc aperçoit une mèche de cheveux blonds. Ceux de Laura... La mèche est filmée en gros plan. Ensuite, gros plan sur le visage de Marc. Un fond musical sombre s'intensifie. Travelling arrière lent du personnage. Large plan sur la façade. Marc, anéanti par cette nouvelle inattendue, avance d'un pas lent vers le trottoir, tout en observant depuis son jardin la rue face à lui.