dimanche 26 juillet 2009

EPISODE 32 : LE DERNIER CHAPITRE : LA RESURRECTION DES LEODIENSIS (Partie 3)

Liège. Boulevard de la Sauvenière. Restaurant-discothèque « Le Seven ». Samedi 7 mars. 22 heures 36.

Gianni : Je crois que ton copain n'est pas content de me voir en ta compagnie, il a un de ces airs « furax » !
Sarah : Pardon ?
Gianni : Ton copain vient d'entrer dans la salle mais il vient de la quitter, je ne sais pas pourq...
Sarah (interrompant Gianni) : Je reviens !
Gianni : Sarah... Attends...
Sarah : T'inquiète pas... Je serai là dans quelques minutes !

Sarah se lève subitement. Le pas pressé, elle se rend dans le couloir extérieur qui sépare le restaurant de la discothèque. Deux, trois couples discutent dans les larges escaliers menant au rez-de-chaussée. Sarah rejoint le hall d'entrée où deux agents de sécurité sont en faction. Les « sorteurs », comme on les appelle dans le jargon de la nuit, interpellent la jeune fille.

Un des agents : Ca ne va pas, Mademoiselle ?
Sarah : Non, je cherche mon copain. Il vient de quitter la salle !
L'agent : Comment est-il ?
Sarah : Il mesure environ 1 mètre 85, les cheveux châtain clair, les yeux verts ; il porte une chemise blanche et un jean délavé.
L'agent (regardant son collègue) : Je... Je crois que je viens de le voir. Il est sorti en effet !
Sarah : Merci !

Dehors, le boulevard est presque désert. Sarah se dirige au hasard vers le quartier de l'Opéra, à la recherche d'Arnaud. Scrutant les rares silhouettes en espérant y voir celle du jeune homme, elle ralentit puis accélère son rythme de marche. Des gouttelettes de pluie tombent sur sa chevelure. Elle redresse alors la capuche de son duffel-coat noir. Sans parapluie, le visage à nu faisant front au froid glacial, elle espère retrouver Arnaud au plus vite.

Sarah : Il est sans doute retourné chez lui...

S'engouffrant dans les ruelles du centre-ville, elle traverse le quartier de l'Opéra, le Vinâve, la rue Cathédrale pour rejoindre la Passerelle, ce pont d'allure « 1900 » permettant la jonction du centre-ville avec l'île citadine d'Outremeuse. A presque 23 heures, la traversée d'un tel endroit s'apparente à une aventure risquée. Liège est une ville festive, à l'esprit villageois certes, mais elle est aussi un repère de personnages étranges, parfois schizophrènes, souvent antisociaux, tout droit sortis de leurs tanières obscures.

Au milieu de la Passerelle, un jeune homme est accoudé à la rambarde en fer forgé. Il observe le miroir mouvant de l'eau fluviale, formé par de légères ondulations successives. Le vent souffle son air glacé en direction du nord-est. Sarah croit reconnaître Arnaud. Elle s'en approche en ralentissant sa marche, les bras croisés, le menton plongé dans le col relevé de son duffel-coat.

Sarah : Arnaud ?

A l'arrivée de Sarah, Arnaud, presque ivre, tente de dissimuler une petite bouteille de vodka dans la manche de son imperméable. Ignorant la présence de son amie, le jeune homme contemple les rives tranquilles de la Meuse sous un ciel voilé par de fins nuages. Au loin on entend la sirène d'une ambulance et les passages rapides des voitures.

Sarah s'appuie sur la rambarde, serrée contre Arnaud. Leurs regards s'ignorent l'un l'autre ; ils se parlent comme des gens trop habitués à se voir. Leurs yeux semblent fixer les mêmes éléments du paysage éclairé par la pleine lune.

Sarah : Tu bois ?
Arnaud : Ca ne te regarde pas...
Sarah : Tu m'en veux, n'est-ce pas ?
Arnaud : Pourquoi ?
Sarah : Tu m'en veux parce que je discutais avec cet homme...
Arnaud : Ca n'a aucune importance.
Sarah : Tu m'en veux parce que je ne suis pas assez attentionnée ou que je ne fais pas assez d'efforts pour te montrer mes sentiments.
Arnaud : Tu te fais du cinéma !
Sarah : Alors, que se passe-t-il, Arnaud ?
Arnaud : Je n'ai pas envie d'en parler.
Sarah : On peut tout se dire, non ? Je suis là pour t'écouter, tu le sais.
Arnaud : Ce n'est pas simple pour moi. Et ça ne le serait pas pour toi non plus.
Sarah : Te rends-tu compte que tu m'as laissée en plan ? Tu es sorti de la discothèque sans me...
Arnaud (l'interrompant) : Rien ne va, Sarah.
Sarah : Qu'est-ce qui ne va pas ? Dis-moi...
Arnaud : Je... Je ne peux plus supporter cette vie.
Sarah : Cette vie ? Mais explique-moi.
Arnaud : Ce que je suis, ce que je deviens, les autres... (Moment de silence. Arnaud reprend une gorgée de vodka.) Tu ne peux pas comprendre !
Sarah : Où as-tu déniché cette bouteille ?
Arnaud : J'ai toujours de l'alcool sur moi.
Sarah : Depuis quand bois-tu comme ça ?
Arnaud : Depuis que je suis mal...
Sarah : J'aimerais savoir ce qui ne va pas, Arnaud !
Arnaud : Ca ne sert à rien. Tu ne peux rien faire pour moi de toute façon.
Sarah : Tu as raison, je ne peux rien faire si tu ne m'expliques pas, Arnaud. Jusqu'à présent, tout s'est très bien passé entre nous. Tu t'entends bien avec les autres aussi, alors de quoi te plains-tu finalement ? Le fait que tu aies passé quelques semaines en taule, c'est ça ? Tu n'as rien fait de grave et tu n'es pas un délinquant ! Je suis bien placée pour le savoir ; je te connais comme ma poche !
Arnaud : Ca, c'est ce que tu crois...
Sarah : Alors que dois-je croire si j'ai faux sur toute la ligne ? si vraiment tu joues la comédie avec moi ?
Arnaud : En vérité... Tu ne sais pas grand-chose : ni de moi ni de ma famille ni de mes amis. Je suis constamment obligé de me taire, obligé de dissimuler mon identité... J'ai l'impression de...

Sarah s'approche, posant sa main gantée sur celle d'Arnaud. Quelques secondes s'écoulent.

Sarah : L'impression de... ?
Arnaud : L'impression d'être un mythomane.
Sarah : Personne ne t'empêche d'être toi-même, Arnaud. Je ne te jugerai jamais : ni toi ni ta famille.

Le jeune homme se tourne vers Sarah. Ses yeux laissent s'échapper quelques larmes. Il sanglote, hésite, se reprend, puis se perd une nouvelle fois dans ses turpitudes. Sa main fouille la poche intérieure de son imperméable puis attrape un papier enfoui dans l'épaisseur de celui-là. Il le sort et le tend à Sarah.

Sarah (surprise) : Qu'est-ce que c'est ?
Arnaud : Tu veux tout savoir de moi ? Alors lis ça...
Sarah : Maintenant ?
Arnaud : Si tu es prête à affronter une réalité abjecte, une réalité qui pourrait remettre en question notre couple, tes sentiments, ton estime à mon égard, alors oui, tu peux le lire maintenant.

Le papier chiffonné est tendu à la jeune fille. Celle-ci le prend et le déplie délicatement...



Tilff, à dix kilomètres au sud de Liège. Quartier de Beauval. Mardi 10 mars. 9 heures 23.

Dans le quartier de Beauval, les villas ont l'allure de demeures victoriennes, forteresses impénétrables d'une bourgeoisie qui ne connaît pas la crise. Les jardins particuliers, couverts par une douce rosée matinale, offrent à la vue des passants une verdure artificielle sans intérêt. La berline du commissaire Charlier s'aventure à vitesse réduite dans les impasses. Marc est à ses côtés ; par la vitre du côté passager, il scrute les boites aux lettres et les façades à la recherche du numéro 328. Le quartier n'a qu'un seul nom de rue mais une multitude de résidences identiques agencées sans cohérence.

Le 328 est une maison isolée, en partie dissimulée par des épineux et un imposant saule pleureur. D'un blanc immaculé, elle est d'une esthétique sobre et accueillante. La voiture de Police s'arrête. D'un pas sûr et lent, le commissaire et Marc se dirigent vers la porte d'entrée. L'inspecteur sonne ; Charlier prépare sa carte de fonction. Au bout d'une quinzaine de secondes, la porte s'ouvre.

Charlier : Monsieur Lanvin ?
Lanvin : C'est bien moi.
Charlier : Monsieur Lanvin, je suis le commissaire Charlier de la Police judiciaire de Liège, et voici mon collègue, l'inspecteur Lejeune. Nous aimerions vous poser quelques questions.
Lanvin : Des questions ? A propos de quoi ?
Marc : Nous aimerions obtenir quelques informations au sujet d'un accident survenu il y a plus de deux mois sur le boulevard d'Avroy à Liège.
Lanvin : Un accident ?
Charlier : Acceptez-vous de nous recevoir quelques minutes ? Ce ne sera pas long...
Lanvin : Heu oui... Entrez.

Scène suivante. Les trois interlocuteurs sont installés dans les canapés du salon. La pièce est lumineuse ; les murs sont décorés de photographies suggestives en noir et blanc. Statues d'argent, vases en acier nickelé chargés de roses blanches et livres d'art ethnique sont disposés sans prétention sur les buffets et la table basse du living.

Lanvin : Pourquoi venez-vous chez moi ?
Charlier : Désolé de vous le dire de la sorte mais vous êtes fiché dans notre « black list » si j'ose dire...
Lanvin : Une « black list » ?
Charlier : Pas d'inquiétude ; c'est juste une expression. Ca fait longtemps que vous habitez ici ?
Lanvin : Trois ans environ. Pourquoi ?
Charlier : Vous avez l'air d'avoir bien réussi. Belle villa, spacieuse, élégante, livres d'art, statues contemporaines... Le chic du chic ! Vous travaillez dans quel domaine ?
Lanvin : Je suis indépendant. Je travaille dans l'élaboration et la vente de systèmes de surveillance électronique pour les entreprises et les particuliers.
Charlier : Belle reconversion ! Ca a l'air de marcher votre affaire...
Lanvin : Vous voulez un café ou autre chose ?
Charlier : Non, merci. Nous n'en avons que pour quelques minutes.
Marc : Monsieur Lanvin, connaissez-vous ces deux jeunes filles ?

Marc montre à son interlocuteur deux portraits représentant Mélanie et Laura.

Lanvin (observant attentivement les deux photographies) : Non. Non, ça ne me dit rien. (Moment de silence) Attendez, ne me dites pas que vous me soupçonnez de...
Charlier : Pour être clair avec vous, les deux demoiselles que vous voyez sur les photos ont été assassinées par la même personne. Du moins, nous le supposons mais il est sûr à nonante pour cent qu'il s'agisse du même individu. La Police et l'entourage ont reçu des lettres de menace durant plusieurs semaines, nous avertissant du danger que nous courrions si nous ne laissions pas tomber l'affaire.
Marc : Et dans ces lettres, des empreintes ont été relevées ; empreintes qui correspondent étrangement... aux vôtres.
Lanvin : C'est absurde ! O.K., je n'ai pas toujours été un ange mais... C'est du passé ! Je n'ai plus aucun contact avec des adolescentes et aujourd'hui je gagne ma vie honnêtement !
Charlier : Nous sommes juste à la recherche de la vérité, Monsieur Lanvin. Votre casier judiciaire est...
Lanvin (interrompant brusquement Charlier sur un ton colérique) : Mon casier judiciaire est intact depuis longtemps, Monsieur le commissaire ! (Moment de silence) Vous voulez que je vous dise ? Je sais qu'on est toujours rattrapé par son passé, que nos actes ne nous quittent jamais et qu'il planera toujours au-dessus de ma tête un vent de suspicion. Quoi que je puisse devenir, mon passé ne me lâchera jamais ! Vous en êtes la preuve vivante aujourd'hui !
Marc : Tout ce que vous pourrez dire de pertinent par rapport à nos questions nous délivrera du doute, Monsieur Lanvin. Alors laissez-moi vous poser une question...
Lanvin (en portant une cigarette et un briquet à sa bouche) : Allez-y, posez-la !
Marc : La nuit du samedi 15 au dimanche 16 novembre, pourriez-vous vous rappeler de ce que vous faisiez ?
Lanvin (rires) : Elle est bien bonne, celle-là ! Vous croyez que je retiens ma vie par coeur ?
Charlier : Peut-être votre agenda vous aidera-t-il ?
Lanvin : Tout n'est pas noté dans mon agenda mais je peux vérifier. Ca ne me dérange pas ; j'ai la conscience tranquille.

Le suspect quitte le salon pour aller fouiller dans une armoire du hall d'entrée. Dans le premier tiroir, il soulève des paperasses minutieusement classées et en sort un petit agenda épaissi par un usage intensif. Patrick Lanvin revient dans la pièce où attendent patiemment Marc et le commissaire.

En tournant les pages, l'homme inspecte le programme de la journée du 15 novembre.

Lanvin : Tenez. Regardez : je n'étais pas en Belgique ce jour-là. J'étais en voyage d'affaires. Hôtel « Piazza Mare » à Milan. Le Salon de l'Electronique est organisé là-bas tous les deux ans. Je ne manque jamais ce rendez-vous.

Charlier regarde Marc. Embarrassé par cette réponse qu'il ne voulait pas entendre, il s'exclame.

Charlier : Il nous faut une preuve !
Lanvin : Une preuve ?
Marc : Oui, un ticket de voyage, une facture d'hôtel... Je ne sais pas, moi. Réfléchissez à ce que vous pouvez nous fournir comme preuve.
Lanvin : Vous en voulez, vous allez en avoir. Plus que ce que vous ne pensez...

Marc se retourne vers le commissaire. Un regard mutuel codé les amène à penser qu'ils sont sur la mauvaise voie et que leur enquête va les mener droit dans le mur. Patrick Lanvin s'en va chercher dans l'une des commodes de son bureau un dossier d'affaires épais comme un annuaire téléphonique. Deux minutes suffiront à le faire revenir dans le salon, preuves en main.

Lanvin : Non seulement je mène une vie bien rangée mais en plus, je suis devenu méticuleux, condition sine qua non pour réussir dans mon boulot. Voici les preuves : billet d'avion, départ le jeudi 13 novembre à 18 heures 30. Billet d'hôtel, trois nuits en demi-pension, 217 Euros et 58 cents. Photographies prises avec mon argentique lors de ma visite au Salon de l'Electronique, toutes datées du 14 et du 15 novembre 2008. Photographies de Milan. Datées du 15 et du 16 novembre 2008. Regardez par vous-mêmes.

En consultant attentivement les documents, le commissaire Charlier s'interroge.

Commissaire : Vous y êtes allé avec votre compagne ?
Lanvin : Mon épouse, Monsieur le commissaire... Mon épouse. Elle s'appelle Véronique.
Commissaire : Ainsi donc, vous êtes marié.
Lanvin : Depuis un an et demi. J'espère que ça ne vous dérange pas trop, Monsieur le commissaire ?
Commissaire : Bien, bien.... J'aimerais reprendre ces documents si vous le permettez.
Lanvin : Ils s'appellent « retour ». Puis-je vous faire confiance ?
Marc : On vous les ramènera dans quelques jours. On vous contactera avant.
Lanvin : Maintenant, si vous me le permettez, je vais devoir vous laisser. J'ai un rendez-vous avec un client à Bruxelles et je ne peux pas manquer à l'appel. Vous comprenez, j'espère ?
Commissaire : On va vous laisser tranquille. Mais nous continuons nos recherches.
Lanvin (sur un ton ironique) : C'est ça, continuez vos recherches et puis, quand vous aurez enfin découvert la vérité, vous viendrez vous excuser du temps que vous m'avez fait perdre !
Marc : Nous faisons notre travail, Monsieur Lanvin.
Patrick : Et moi, je défends ma cause. Je dois vous laisser. La porte de sortie est par là.

Sur le seuil de la porte, les deux policiers s'adressent une dernière fois à Lanvin.

Charlier : Monsieur Lanvin, avec tout le « nouveau » respect que je vous dois, n'oubliez jamais ceci : votre passé ne s'envolera jamais. Il vous suivra partout et pour toujours. Vous y serez confronté d'une manière ou d'une autre jusqu'à la fin de vos jours. A bon entendeur...
Lanvin : Faites votre boulot correctement et tout ira pour le mieux. Je vous fais confiance. Au plaisir de ne pas vous revoir pour de mauvaises raisons...

Les deux policiers entrent dans la berline stationnée face au jardin. Lanvin les observe au loin, rallumant une cigarette coincée entre ses lèvres. Le véhicule démarre en trombe. Un nuage blanchâtre se dégage du pot d'échappement. La porte d'entrée se referme, laissant apparaître face caméra, en plan rapproché, trois chiffres en caractères dorés : 3, 2 et 8.