Neupré. Bois de Rognac. Lundi 16 février. 17 heures 36.
Le Bois de Rognac est l'un de ces quartiers paisibles de la banlieue sud-est de Liège. Enclavé dans le domaine forestier de Neupré, il isole des autres localités ses imposantes demeures de style contemporain. Le dédale des impasses en boucle, aux dénominations souvent artificielles, rappelle vaguement les banlieues de l'Amérique bourgeoise.
Une pluie acide, glaciale, tombe en cordes épaisses sur les rues sombres du « Bois ». Seules les lueurs des habitations rassurent sur une éventuelle présence humaine. Une Aston Martin noire, feux éteints, s'approche d'une villa située à l'extrémité circulaire d'une impasse.
Scène suivante.
Fellini : Je t'ai déjà dit qu'il était hors de question que j'envisage quoi que ce soit avec toi ! Enfin ! Est-ce si compliqué à comprendre ?
Circulant dans le spacieux living du rez-de-chaussée, le portable collé à son oreille, Fellini tente de raisonner son amie.
Fellini : Pourquoi es-tu si obsédée par le mariage, Carla ? J'ai trop de choses à régler pour le moment et je ne peux pas m'investir dans ce type de relation. Si tu préfères en rester là parce que nos conceptions de la vie à deux ne sont pas les mêmes, ne compte pas sur moi pour te « récupérer » ! Tu m'as fait le coup une fois et je ne suis pas près de l'oublier !
Scène suivante. Des pas lents et hésitants s'avancent dans l'obscurité du jardin encerclant la résidence de Fellini.
Scène suivante.
Fellini (sur un ton agacé) : Bien, bien ! Téléphone à tes parents et à tes amis ! Annonce-leur la bonne nouvelle ! Je suis sûr qu'ils seront ravis ! Mais ce n'est pas moi qui passerai pour un imbécile, tu m'entends ?!
Fellini éteint brusquement son portable. La main posée sur son front, il s'exclame : Merde... MERDE, MERDE, MERDE !
Empruntant l'escalier situé dans le hall d'entrée, il monte au premier étage pour rejoindre son bureau.
Scène suivante. La caméra filme des mains gantées disposant une disqueuse sur le vitrage d'une porte située à l'arrière de la villa.
Scène suivante. Fellini est face à l'écran de son ordinateur. Occupé à visionner des sites touristiques, ses pérégrinations virtuelles sont interrompues par la sonnerie du téléphone fixe placé sur son bureau. Le nom d'un de ses « comparses » s'inscrit sur l'écran du cornet. Il décroche.
Fellini : Franck, comment vas-tu ?
Franck : Bien. Et toi ?
Fellini : Ca pourrait aller mieux. Carla a encore fait sa crise. Cette fois-ci, j'ai été direct avec elle. J'aurais d'ailleurs dû l'être plus tôt !
Franck : Vous vous êtes disputés sérieusement, cette fois ?
Fellini : Oui, « sérieusement ». C'est le moins qu'on puisse dire !
Franck : Elle envisage de te quitter ?
Fellini : Me quitter ? Tu plaisantes, j'espère ? C'est moi qui la quitte ! On ne me largue pas comme ça !
Franck : Carlo, tu devrais réfléchir avant de faire ça. Je vous connais depuis vos débuts et je pense que ce ne serait pas bon pour vous deux. Tu auras des difficultés à t'en remettre, crois-moi.
Fellini : Nous n'étions pas sur la même longueur d'onde. Je ne vois aucune solution et puis, je n'ai pas envie de parler de ça pour le moment.
Franck : Je comprends. Mais ne sois pas trop impulsif avec elle.
Fellini : Laisse-moi rire... Pour changer de sujet, j'ai prévenu Hartmann de notre nouvelle affaire.
Franck : Comment a-t-il réagi ?
Fellini : Je t'avoue que notre décision ne l'a pas trop satisfait, mais je ne me suis pas éternisé au téléphone.
Franck : Comment ça ?
Fellini : Il devenait insistant et je lui ai raccroché au nez !
Franck : Tu plaisantes ? Tu as osé lui...
Fellini : Ecoute, tu crois sincèrement que ce gars m'impressionne ? Si tu penses ça, tu te trompes.
Franck : Carlo, je crois que tu n'aurais pas dû interrompre la discussion. Je me demande parfois si tu réfléchis à ce que tu fais...
Fellini : On n'avait pas de temps à perdre, bon sang ! Nous ne sommes pas des enquêteurs, tu piges ? Ce sont des tueurs à gage que j'ai sous ma botte, pas des espions à deux balles. J'ai jamais compris où il voulait en venir mais, une chose est sûre, il m'a fait perdre mon temps !
Scène suivante. La caméra filme en plan rapproché les mains gantées de l'inconnu. Celui-ci, après avoir opéré une découpe circulaire dans le vitrage, enlève délicatement le système de ventouse attaché à la disqueuse. Il passe ensuite sa main gauche à travers le cercle découpé pour ouvrir délicatement la porte de la cuisine. Une musique de générique émise par le téléviseur du salon couvre le bruit des pas sur le carrelage.
Fellini : Il m'a réclamé de l'argent.
Franck : Combien t'a-t-il réclamé ?
Fellini : L'accompte versé pour les prochaines semaines. J'ai refusé.
Franck (exaspéré) : Pardon ? J'ai pas bien entendu, là ? Pourquoi as-tu refusé ? Et tu crois qu'il va laisser passer ça ?
Fellini : Oui, je le crois !!
Franck : Bravo ! On peut pas dire que tu fasses dans la délicatesse, toi ! Ce mec va tout faire pour récupérer son dû ! Tu entends, ça ? Il ne va pas te lâcher ainsi !
Fellini : Attends une minute, Franck ! Je te signale que si je n'étais pas à la tête de cette association, on aurait croulé depuis longtemps. Et grâce à moi, tu as pu largement te sucrer, je te signale ! Alors, ne viens pas m'emmerder avec ta morale à la « mords-moi le noeud » ! C'est compris ?
Hartmann : Pourtant, la morale est parfois nécessaire, Monsieur Fellini.
Fellini se retourne subitement. Surpris par la présence de Hartmann, il lâche le cornet du téléphone fixe. A l'autre bout du fil, Franck s'inquiète : « Carlo ? Tu es toujours là... ? (Moment de silence) Carlo ? Réponds-moi, s'il te plaît !! »
Hartmann (sur un ton calme) : Bonsoir Monsieur Fellini.
Fellini : Que faites-vous là ? Co... Comment êtes-vous entré ici ? Je...
Hartmann se penche vers le cornet déposé sur le sol. Il coupe la conversation et replace délicatement le cornet sur son socle.
Fellini : Comment êtes-vous entré ici ? Répondez-moi !
Hartmann (sur un ton narquois) : J'avais exigé de vos hommes qu'ils surveillent de très près le « Réseau » de Georges Barnier. Pour répondre à la remarque que vous avez faite à votre cher ami Franck, je n'ai jamais pris vos tueurs à gage pour autre chose que ce qu'ils étaient ! J'ai toujours eu l'intention de me débarrasser de l'entièreté du Réseau.
Fellini (inquiet) : Mais... A... Alors pourquoi tant de mystère avec...
Hartmann (interrompant Fellini) : Je voulais jouer sur la peur. Mélanie et Laura ne valaient rien à mes yeux. D'ailleurs, elles n'appartenaient pas vraiment au Réseau.
Fellini : Pourquoi fallait-il s'en débarrasser alors ?
Hartmann : Elles étaient les petites-filles de Barnier. Il les a fait passer pour ce qu'elles n'étaient pas, leur a donné une fausse identité et a berné toute la communauté scientifique !
Fellini : Barnier était donc grand-père...
Hartmann : Absolument !
Fellini : Mais... Et les autres ?
Hartmann : Les autres n'ont aucun lien de parenté avec Barnier. Ils sont juste ses petits protégés. Mon seul et unique but - dois-je vous le rappeler, Monsieur Fellini ? - était de m'en débarrasser tout en les avertissant du danger qui les attendait. A priori, cela paraît stupide. Mais la peur est un excellent moyen d'attaque. Montrer à Barnier que j'avais le pouvoir sur leurs vies, que plus rien ne pouvait m'échapper. Et tout cela, en demeurant invisible aux yeux de la Justice.
Fellini : Ecoutez, Monsieur Hartmann, je... Je sais que...
Hartmann : Non. Je ne vais pas vous écouter, Monsieur Fellini. Je suis venu ici pour récupérer mon argent.
Fellini : Je crois que vous faites fausse route. Je n'ai pas la moindre intention de vous rendre quoi que ce soit.
Hartmann : C'est dommage... Je pensais qu'en vous rendant visite, vous changeriez d'avis. Je pensais que vous seriez plus compréhensif.
Fellini : Je ne peux pas vous rembourser une telle somme maintenant.
Hartmann : Mais j'en ai besoin, là, tout de suite... Vous comprenez ?
Fellini : Ecoutez, je... (Fellini se lève de son siège de bureau)
Hartmann (sortant un 357 Magnum de son manteau et le pointant en direction de son interlocuteur) : Monsieur Fellini, je veux l'argent.
Fellini (surpris par l'arme) : Ah, je vois que vous n'êtes pas venu les mains vides.
Hartmann : Je ne me rends jamais chez un débiteur les mains vides. Si seulement je n'avais qu'une arme...
Fellini : Que voulez-vous dire par « si seulement je n'avais qu'une arme » ?
Hartmann : Je n'ai pas envie de perdre mon temps. Alors, pour la dernière fois, je vous demande l'ar...
Fellini (interrompt Hartmann en s'excusant) : Je... Je ne l'ai plus ! Voilà la vérité ! Je suis navré... Prenez tout ce que vous voulez ici mais je ne peux pas vous donner davantage ! Ne... N'insistez pas !
Hartmann : Pardon ? Je pense que je n'ai pas compris...
Fellini (se confondant à nouveau en excuses) : Prenez tout ce que vous voulez ! L'argent a été dépensé dans l'achat de nouvelles armes. Je n'ai plus rien, vous comprenez ? Je n'ai plus rien !
Hartmann (colérique) : Des nouvelles armes ? Vous avez acheté de nouvelles armes ? Avec mon argent ? Et vous n'avez plus rien ?!
Hartmann s'approche alors de Fellini. Le Magnum pointé en direction d'un de ses genoux.
Fellini : Que... Que faites-vous ?
Hartmann (la voix étrangement mélancolique) : Je n'aurais jamais dû vous faire confiance...
Le 357 dirigé contre la rotule droite lâche deux coups. Les bruits successifs sont étouffés, presque inaudibles. Fellini vient de recevoir deux balles dans le genou. Il s'effondre et s'étend sur la moquette du sol. Hartmann le regarde, l'air impassible. La victime plie sa jambe, se retourne dans tous les sens, comme si l'apaisement de la douleur dépendait d'une position précise. Hartmann s'approche alors de Fellini.
Hartmann : Vous voilà sérieusement handicapé maintenant. Quel triste sort, n'est-ce pas ?
Fellini : Espère d'enfoiré ! Je...
Hartmann : Le pire, c'est que je n'ai pas terminé. (Hartmann observe autour de lui les bibelots déposés sur les armoires.) Vous avez de très beaux objets ici. Vous les avez achetés ou... On vous les a offerts ?
Fellini : Allez vous faire foutre !
Hartmann : Vous savez ce que je vais faire ?
Fellini : ...
Hartmann : Je vais me servir... Et puis après, je vous promets que je vous laisserai tranquille. Enfin, façon de parler... Parce qu'en réalité, Monsieur Fellini, le pire est à venir...
Musique de suspense. La caméra s'approche lentement du regard dubitatif de Fellini.