samedi 14 mars 2009

EPISODE 17 : LE VICE ET LA VERTU (Partie 3)

Centre médical de Liège. Service d'Oncologie pédiatrique. Lundi 16 février. 10 heures 23.

Travelling avant lent sur le quatrième étage du bâtiment. Les sons électroniques d'un portable se succèdent à un rythme rapide. Plan large de l'intérieur d'un bureau où une jeune femme pianote sur le clavier de son GSM.

Vanessa Berryer a vingt-sept ans. Médecin stagiaire au Département de Pédiatrie depuis septembre 2008, elle travaille au sein de l'équipe d'oncologie pédiatrique dirigée par le Docteur Claude Keller. Cette jeune femme au charme juvénile est l'avant-dernier membre du « Réseau », la communauté secrète protégée par Georges Barnier.

Une femme médecin frappe à la porte de son bureau.

Vanessa : Entrez !
Femme : Mademoiselle Berryer, bonjour. Le Docteur Keller aimerait vous voir. C'est urgent.
Vanessa (surprise) : Tout de suite ?
Femme : Oui.
Vanessa : Je viens.
Femme : Bien, je le préviens de votre arrivée.

La demoiselle termine la rédaction de son texto et s'empresse de rejoindre la porte d'entrée du bureau. La caméra suit la jeune fille dans les longs couloirs du quatrième étage. Infirmiers, médecins et visiteurs se succèdent dans le labyrinthe du département. Au bout d'un couloir, Vanessa frappe à la porte sur laquelle une plaquette chromée indique le nom du Docteur Keller.

Dr Keller : Entrez !
Vanessa : Bonjour, Docteur.
Dr Keller : Ah, Mademoiselle Berryer, je suis ravi de vous voir ! (Le médecin se lève et serre avec vigueur la fine main de la jeune femme).
Vanessa : Merci !
Dr Keller : Asseyez-vous, je vous prie !
(Vanessa s'exécute)
Dr Keller : Cela fait un petit temps que je ne vous vois plus mais n'allez pas croire que je vous mets de côté ! Je reste très attentif au stage que vous effectuez au sein de notre service. (Le docteur tire d'une pile de dossiers une farde cartonnée) Jusqu'à présent, je note une évolution significative de votre travail. Vous commencez à maîtriser certaines notions propres au jargon pédiatrique, vous êtes courageuse et votre contact avec la patientèle est très bon. Vous avez aussi une remarquable capacité d'empathie ; c'est important dans notre service. Nous, les médecins, nous sommes trop vite décriés pour la froideur de nos propos face aux patients, en particulier lorsqu'il s'agit d'enfants.
Vanessa : Je suis assez sensible à la souffrance des patients que je côtoie, en effet.
Dr Keller : La sensibilité est un atout mais elle ne doit pas être excessive. Je suppose que je ne vous apprends rien en vous disant cela.
Vanessa : J'essaie de rester à mi-chemin entre la distance et l'empathie.
Dr Keller : Cette position stratégique, nécessaire pour votre bien-être professionnel, est évidemment un bon point. Mais elle est parfois difficile à maintenir...
Vanessa : Je sais... J'en ai conscience.
Dr Keller : J'ai un service à vous demander, Mademoiselle Berryer.
Vanessa : Lequel ?
Dr Keller : A vrai dire, je pourrais ne pas vous le proposer mais je sens que cette expérience va vous enrichir à un point que vous n'imaginez même pas.
Vanessa : De quelle expérience s'agit-il ?
Dr Keller (moment de silence) : Et bien... Habituellement, nous évitons de confronter les étudiants en première année de spécialisation aux situations les plus... Douloureuses. L'enjeu pédagogique est de taille et nous évitons de prendre des risques.
Vanessa : Je ne vous suis pas bien.
Dr Keller : J'aimerais que vous poursuiviez votre stage avec les enfants qui sont à votre charge. Mais je souhaiterais aussi que vous vous occupiez d'un jeune garçon dont le capital santé est sérieusement affecté depuis quelques jours.
Vanessa (dubitative) : La plupart des enfants qui sont ici sont affectés dans leur capital santé.
Dr Keller : Oui... Oui, je sais. Mais dans le cas qui nous concerne ici précisément, il s'agit d'un enfant cancéreux. Et nous ne voyons pas grand-chose de positif à son sujet. Nous avons peu d'espoir de le sortir de là où il se trouve.
Vanessa : Et vous voulez que je m'en occupe, c'est bien cela ?
Dr Keller : Oui. Bien entendu, l'équipe de médecins qui vous accompagne habituellement sera là et lui administrera le traitement thérapeutique, comme il se doit. Mais il faudra que vous vous occupiez de lui et que vous délaissiez parfois ceux qui étaient à votre charge.
Vanessa : Comment s'appelle-t-il ?
Dr Keller : Théo.
Vanessa : Quel âge a-t-il ?
Dr Keller : Il vient d'avoir neuf ans. Pour faire simple, il souffre d'un myélome multiple, un cancer hématologique, mais il l'ignore à ce jour.
Vanessa : Il l'ignore ? Vous ne lui en avez pas encore parlé ?
Dr Keller : Nous veillons à ne pas brusquer les enfants. Il faut y aller lentement mais sûrement. Car, un jour ou l'autre, ils devront faire face à la réalité. Et nous aussi.
Vanessa : Il est déjà en hospitalisation ?
Dr Keller : Oui. Nous allons le rencontrer aujourd'hui. Vous pourrez discuter avec lui.
Vanessa : Pourquoi me proposez-vous cette mission ? Je... Je ne suis pas la seule parmi les étudiants à avoir intégré le service d'oncologie.
Dr Keller : Je suis très satisfait de votre travail. Vous êtes deux fois plus présente que certains de vos camarades. Vous êtes en voie d'être un de nos meilleurs éléments. Considérez ma proposition comme une opportunité d'évoluer dans votre travail thérapeutique.
Vanessa : Vous me croyez capable de faire face à... A la mort d'un enfant ?
Dr Keller : Vous avez tout à apprendre, Mademoiselle Berryer. Mais, dans les mois qui vont suivre cet entretien, vous allez enfin savoir si vous êtes faite pour ce métier.

La jeune femme au teint hâlé semble décontenancée par les propos du Docteur Keller. La caméra s'approche lentement du regard de la demoiselle, un regard envahi par le doute et la peur de l'inconnu...

Dr Keller : La pédiatrie ne se résume pas à pratiquer des examens de routine sur des enfants à peine fragilisés par l'un ou l'autre bobos domestiques. La pédiatrie est bien plus qu'une discipline médicale ; elle est aussi une vertu.
Vanessa : ...
Dr Keller : J'ai confiance en vous. Vous y arriverez...

Musique de transition.

Embourg. Domicile de Hartmann. Lundi 16 février. 16 heures 53.

Sur son bureau en acajou, Hartmann pose délicatement une épingle sur le corps d'un argus bleu. La caméra filme en plan rapproché le travail minutieux des mains marquées par le temps. Des lépidoptères aux ailes déployées reposent en lignes sur un épais panneau de frigolite enveloppée de velours bleu nuit. L'éclairage limité de la lampe de bureau contraste avec l'absence de luminosité dans ce vaste cabinet, tout droit sorti d'un décor de l'Âge d'Or hollywoodien.

Julia, la dame de compagnie, frappe à la porte du cabinet. Elle porte dans ses mains le cornet du téléphone.

Hartmann : Julia, c'est vous ?
Julia : Oui, Monsieur. J'ai un appel pour vous.
Hartmann : Merci. Vous êtes aimable.
Julia : De rien, Monsieur.
Hartmann (prenant le cornet) : Oh, tant que vous êtes là, apportez-moi un thé vert s'il vous plaît.
Julia (en quittant la pièce) : Bien, Monsieur.
Hartmann (approchant le téléphone à son oreille) : Allô ?
Inconnu : Monsieur Hartmann, ici Carlo Fellini.
Hartmann : Monsieur Fellini... Et bien, je ne m'attendais pas à vous entendre au téléphone aujourd'hui.
Fellini : Je sais... Je suis imprévisible.
Hartmann : Que me vaut votre appel ?
Fellini : Mon appel risque de vous décevoir, Monsieur Hartmann.
Hartmann : Que voulez-vous dire ?
Fellini : Eh bien... Comment vous expliquer... Nous nous sommes réunis, mes hommes et moi, il y a quelques jours pour discuter de la mission que vous nous avez confiée il y a de cela trois mois.
Hartmann : Vous avez organisé une réunion spécialement pour moi ?
Fellini : Oui. Oui, nous avons décidé de nous réunir.
Hartmann : Dans quel but ?
Fellini : Voilà... Il se fait que nous avons été contactés par le service judiciaire de la Police locale de Liège. Ils... (Moment de silence)
Hartmann : « Ils » quoi ?
Fellini : Au départ, ils n'étaient pas censés connaître notre existence, et encore moins nos activités.
Hartmann : Fellini, répondez à ma question, s'il-vous-plaît ! Que vous ont-ils dit ?
Fellini : Ils ont obtenu notre numéro de téléphone par le biais du Service de Renseignements intérieurs.
Hartmann : Depuis quand êtes-vous l'objet d'une enquête du SRI ? Bon sang, vous m'aviez juré que vous êtiez invisibles aux yeux de l'Etat !
Fellini : Il se fait qu'un de nos membres a été actif au sein d'une organisation de tueurs à gage il y a une quinzaine d'années. A l'époque, je ne connaissais pas ce membre en question. Les SRI sont sur une autre enquête, mais... Leur enquête les a menés jusqu'à nous.
Hartmann : Et que comptez-vous faire ?
Fellini : J'ai le regret de vous annoncer que nous allons devoir mettre un terme au contrat qui nous lie.
Hartmann : Pardon ? Ai-je bien entendu ?
Fellini : Il en va de votre sécurité personnelle. Et de la nôtre par la même occasion.
Hartmann (sentant la colère monter en lui) : Vous voulez rompre le contrat qui nous lie ? Je vous signale que j'ai placé une fortune colossale dans ce contrat !
Fellini : Monsieur Hartmann, je...
Hartmann : Je vous ai demandé de liquider deux filles et d'enquêter sur les autres. Faites votre travail jusqu'au bout !
Fellini : Monsieur Hartmann, vous ne semblez pas comprendre le danger qui vous guette. Si nous faisons l'objet d'une enquête policière, il y a fort à parier que, tôt ou tard, ils découvriront votre identité. De plus, le Service de Renseignements est dans le coup aussi. Nous sommes dans une impasse, Monsieur Hartmann.
Hartmann : Alors, menacez la police ET le SRI !
Fellini : C'est impossible. Plus maintenant.
Hartmann : Vous ne pouvez pas rompre ce contrat ! Je veux récupérer le Réseau, vous entendez ? J'ai bossé toute ma vie pour les retrouver et vous voudriez que je lâche l'affaire maintenant à cause de vous ?!
Fellini : Je comprends tout à fait votre colère, Monsieur Hartmann. Rien ne vous empêche de continuer, mais ce sera sans nous.
Hartmann : J'exige de récupérer la somme qui, désormais, m'est due !
Fellini : Quelle somme ?
Hartmann : Ne soyez pas de mauvaise foi avec moi, Monsieur Fellini. Si vous rompez le contrat, j'exige de récupérer tout ce que j'ai misé sur vous.
Fellini : Soyez adulte, Monsieur Hartmann.
Hartmann : Je sais ce que vous allez faire : vous allez sortir du territoire, n'est-ce pas ? Et je sais que vous m'oublierez très vite. Trop vite, même ! Alors, avant que vous ne preniez la décision de partir, il va falloir penser à moi. Vous voyez ce que je veux dire ?
Fellini : Il nous est impossible de vous rembourser.
Hartmann : Pardon ?
Fellini : Il nous est impossible de vous rendre l'argent maintenant. Je suis navré.
Hartmann : Vous me demandez d'attendre de récupérer l'argent, c'est bien cela ?
Fellini : Je... Je dois vous laisser. Excusez-moi...
Hartmann : Attendez !!

La discussion est interrompue par un long bruit sonore dans le téléphone. Hartmann dépose dans un mouvement lent le cornet sur le plan du bureau. Son regard absorbé par le doute et la colère ne laisse rien présager de bon. Soudain, d'un geste brusque, il ouvre un de ses tiroirs et en sort un épais dossier. Il tourne, retourne les papiers contenus dans la farde, partant sans doute à la recherche d'une information cruciale. Puis, prenant un petit papier dans sa main droite, il se dirige vers une armoire dans laquelle sont dissimulées plusieurs armes de gros calibres.

Hartmann, chargeant une arme, se dirige vers la porte d'entrée du bureau. Traversant le couloir du hall d'un pas ferme, la gouvernante l'interpelle :

Julia : Monsieur Hartmann, vous... Vous partez ?
Hartmann : Je serai là dans une bonne heure, Julia. Comptez sur moi pour le dîner.

La caméra se pose sur le regard dérouté de la domestique. Une musique de suspense s'immisce dans la scène.