Liège. Boulevard d'Avroy. Samedi 14 février. 4 heures 32.
Travelling lent en plongée sur le quartier des Terrasses, composé de deux vastes parterres carrés éclairés à chacun de leurs angles par de hauts réverbères. Ces parcelles de verdure sont traversées par l'avenue prolongeant le pont du Roi Albert et rejoignant le départ du boulevard d'Avroy. Un fond musical trouble et inquiétant annonce le ton de l'épisode.
Dans le calme apparent de la nuit, la cité endormie est subitement réveillée par les sirènes d'un véhicule de police provenant de l'extrémité du pont et se dirigeant vers le boulevard. Une autre caméra filme en plan [du dessus] le parcours effectué par la voiture. Celle-ci, dans des manoeuvres rapides mais contrôlées, passe sous la trémie [tunnel routier] du quartier d'Avroy, en ressort et maintient dans une parfaite ligne droite sa course effrénée sur environ trois cents mètres. Elle amorce soudain, vers la gauche, un virage à nonante degrés pour s'immiscer dans l'étroite rue Saint-Gilles.
Scène suivante : arrivée du véhicule devant un immeuble à appartements de la rue César Franck, situé non loin du quartier Saint-Gilles. Marc Lejeune et Caroline Leroy en sortent, vêtus de leur uniforme de la Brigade judiciaire. Un policier les interpelle dans leur marche pressée.
Policier (pressé) : Inspecteur Lejeune... Il y a deux victimes. Elles sont au premier étage.
Marc (le regard ferme et inquiet) : Vous avez pu les identifier ?
Policier : Apparemment ils seraient assez jeunes mais vraisemblablement majeurs.
Caroline : Filles, garçons ?
Policier : Une fille et un garçon. Les pauvres, ils n'ont pas été épargnés, croyez-moi !
Marc : On ignore encore la raison de ce meurtre, je suppose ?
Policier : Sans doute une affaire de vengeance. Le jeune homme trainait dans le milieu de la prostitution.
Marc : Prostitution ?
Policier : Il était escort.
Caroline : Et la fille ?
Policier : Escort également.
Les deux jeunes inspecteurs et leur collègue montent d'un pas rapide au premier étage de l'immeuble. Sur le seuil de l'appartement, une femme en pleurs est soutenue par deux officiers.
Femme (en état de choc) : Pourquoi ont-ils fait ça ? Dites-le moi ! Pourquoi ont-ils fait ça ?!
Un brigadier : Essayez de reprendre vos esprits, Madame. Nous allons vous transporter en ambulance. Une psychologue va vous prendre en charge.
Des flashs générés par les prises de vue d'un photographe éclairent la chambre de l'appartement où se dirigent lentement Caroline et Marc.
Policier : Ce qui leur est arrivé est affreux. Je ne sais pas si vous avez déjà eu l'occasion d'affronter ce genre de spectacle dans votre carrière mais... Je crois que vous n'en reverrez pas un pareil de sitôt.
Marc : Caro, n'entre pas dans la pièce. Attends-moi.
Caro : Mais...
Marc (tenant l'avant-bras de la jeune femme) : Laisse-moi d'abord entrer... Je t'en prie.
Le photographe regarde Marc. Sa silhouette cache en partie les cadavres étendus sur un lit de forme circulaire. Il se déplace sur le côté, laissant à Marc le soin de constater l'ampleur du drame qui s'est déroulé une heure auparavant.
Marc (choqué) : Mon Dieu...
La caméra opère un travelling avant sur le visage de Marc. Son regard perturbé en dit long sur l'émotion qui l'étreint.
Caroline (tente d'entrer dans la chambre) : Marc ? Je... Je peux entrer ?
Marc (sous le choc, demeure muet devant sa coéquipière) : ...
Caroline : Marc ? Qu'y a-t-il ?
Le teint livide, Marc sort brusquement de la pièce, manquant de bousculer Caroline, pour se diriger vers une des fenêtres du salon.
Marc (en ouvrant la fenêtre) : J'ai besoin d'air !
Caroline (s'approche de lui) : Hey... Que se passe-t-il ? Tu ne veux pas que j'aille voir, n'est-ce pas ?
Marc : De toute façon, tu n'as pas le choix, Caro. Il va falloir que tu y passes aussi.
Caroline : Qu'as-tu vu, Marc ?
Marc : Je... (Marc, baissant la tête, se frotte les paupières) Je... Je suis en état de choc, Caro. Je n'ai jamais vu ça de ma vie.
Caroline s'éloigne alors de Marc et rejoint d'un pas lent le lieu du crime. La musique est oppressante, le suspense insoutenable. La caméra s'approche de l'entrée de la pièce. Plan rapproché sur le visage de Caroline. L'horreur se dévoile sous les yeux de la jeune femme. Les deux corps atrocement mutilés n'ont en fait plus rien d'humain. Leur forme désarticulée ne pourrait qu'impressionner les regards les plus avertis. Une couverture en peau de léopard entremêlée à un drap blanc est tachée du sang rouge vif des deux victimes. La pièce, à peine éclairée, ne révèle quasi rien du chaos qui y règne.
Un geste brusque semble ramener la jeune femme à la réalité. La main du commissaire Charlier saisit l'épaule de Caroline ; celle-ci, effrayée, se retourne en poussant un cri aigu de stupeur.
Commissaire : Inspecteur Leroy, vous êtes courageuse !
Caroline (surprise) : Commissaire !
Commissaire : Vous avez du boulot, demoiselle. Et cette fois-ci, ça ne durera pas quinze jours comme la dernière fois !
Caroline (prise de nausées, elle place sa main devant sa bouche) :
Je... Je crois que je vais vomir !
Commissaire : Calmez-vous. Ca va aller.
Caroline (tente de reprendre ses esprits) : Ils... Ils étaient connus de la police ?
Commissaire : On savait juste qu'ils n'étaient pas très « purs ». Ils appartenaient à un réseau de prostitution. Enfin... Plutôt une agence aux visées commerciales peu recommandables.
Caroline : Qui a bien pu leur faire ça ?
Commissaire : On a deux hypothèses : soit ils ont été victimes de leur boss, soit ils ont été victimes d'un client « pas très sain d'esprit », si vous voyez ce que je veux dire. Ou plutôt... (Le commissaire jette un coup d'oeil par dessus l'épaule de Caroline pour désigner les cadavres sur le lit) Ou, plutôt, si vous voyez ce que je vois.
Caroline : Nous serons combien sur l'enquête ?
Commissaire : Ca reste à déterminer mais... Une chose est sûre : Marc et vous serez de la partie.
Caroline : De la partie...
Commissaire : Oui. Et je compte sur vous pour me ramener tous les renseignements nécessaires sur ce malade ! Je veux tout savoir sur lui : quand il bouffe, ce qu'il achète quand il fait ses courses, et combien de fois par jour il se rend aux toilettes ! Je veux le décortiquer jusqu'à la moelle épinière, vous m'avez compris ?
Gros plan sur le visage blême de Caroline. Apparition de la musique de fond pour la transition avec la scène suivante.
Résidence de Barnier. Place Saint-Lambert. Lundi 16 février. 17 heures 34.
Travelling avant lent sur le sixième étage de l'immeuble où est domicilié Georges Barnier. Sa voix s'immisce dans le travelling.
Barnier : C'est impossible. Vous ne pouvez pas courir ce risque !
Plan suivant : Barnier et Jessica sont filmés debout, en conversation.
Jessica : Mais pourquoi ? N'ai-je pas le droit de décider ce qui est bon pour moi ?
Barnier : Ce qui est bon pour vous, Jessica, c'est la discrétion ! Vous comprenez ? La dis-cré-tion !
Jessica : Je suis sûr que ce journaliste ne me veut que du bien.
Barnier : Que savez-vous exactement de lui ? (Moment de réflexion) Enfin... Réfléchissez, bon sang ! Une fois que ce type vous aura propulsée sur le devant de la scène – et c'est le cas de le dire ! - vous devrez faire face à la curiosité des gens. La célébrité est un piège, surtout pour vous, Jessica ! Surtout, pour vous... Et quand ils finiront par découvrir qui vous êtes réellement, vous ne serez plus qu'un phénomène de foire à la merci de médias sans scrupule !
Jessica : Alors, si j'ai bien compris, je suis condamnée à respecter le moindre de vos désirs ?
Barnier : Non. Non, non, non ! Ce n'est pas ce que je veux dire ! Je ne vous interdis pas d'être une artiste ! Je veux juste vous protéger. Vous faites partie du Réseau au même titre que Marc, Rachel, Greg, Caro, Arnaud et les autres. Avez-vous seulement conscience du danger qui vous guette ?
Jessica : ...
Barnier (se rapproche de Jessica) : Dites-moi... Avez-vous seulement conscience du danger qui vous guette, Jessica ?
Jessica : Je... Oui, je... J'en ai pleinement conscience.
Barnier : Ne revoyez plus cet homme. Ce n'est pas un conseil, c'est un ordre.
Jessica (le regard perdu et désabusé) : Bien... C'est d'accord... Je... Je vais l'éviter.
Barnier : C'est une excellente résolution. Vous ne le regretterez pas, croyez-moi.
Jessica : Vous savez... Jusqu'à présent, je m'en sors plutôt bien, niveau protection. Apparemment, vos « tueurs à gage » ne veulent pas de moi.
Barnier : Ne parlez pas trop vite, Jessy ! Je ne comprends rien à leur méthode. Mais... Si j'étais vous, je serais de plus en plus méfiante à chaque jour qui passe !
Jessica : Ils ont tué Mélanie en novembre. Puis... Laura a disparu. Nous sommes en février. Ils n'ont plus rien fait depuis la disparition de Laura.
Barnier : Plus rien fait ? Je vous signale qu'ils ont joué aux vandales ! Et dans mon appartement, ici même, en plus ! De plus, Arnaud est en détention préventive ! Vous avez la mémoire courte, Jessy !
Jessica (moment de réflexion) : Monsieur Barnier, qui peut bien nous en vouloir ?
Barnier : Je n'en sais rien. Vous savez, Jessica, vous êtes le plus formidable succès qu'il m'ait été permis de réaliser. Votre secret, chacun des membres du Réseau doit le garder. Il y a des jalousies, des convoitises de toutes parts. Mon parcours n'est pas banal. Je suis un scientifique renommé et un industriel de haut vol. Ce n'est pas de la prétention d'affirmer cela. Les articles de presse élogieux à mon égard parlent pour moi.
Jessica (le regard perdu dans ses pensées) : J'aurais voulu être comme les autres. Être libre. Mener une vie simple sans prise de tête. Les gens n'imaginent pas la chance qu'ils ont.
Barnier : Les gens sont repliés davantage sur leurs problèmes que sur leurs multiples possibilités d'être heureux, Jessica. A vrai dire, la plupart sont incapables d'être plus libres que vous... Vous savez ce qui rend les individus prisonniers de leurs turpitudes ?
Jessica : Non.
Barnier : Leurs pensées. Les gens sont incapables de penser leur vie. Ils programment, rêvent, imaginent. Mais ils ne pensent pas leur vie !
Jessica : Qu'entendez-vous par « penser leur vie » ?
Barnier : Vous savez pourquoi j'ai réussi mon projet scientifique, Jessy ?
Jessica : Non.
Barnier : Parce que je savais que je réussirais. Je savais exactement que ce qui était bon pour moi allait m'arriver. Les gens ne comprennent pas cela. Ils sont esclaves comme vous, mais d'une autre façon.
Jessica : Vous croyez ?
Barnier : J'en suis certain.
Jessica : Mais vous refusez que je devienne célèbre, n'est-ce pas ?
Barnier : Ne revenons pas sur ce point. Je veux votre bonheur. Et votre célébrité pourrait vous jouer de sales tours.
Jessica : Bien... Je comprends... Alors, il me reste à vivre sur des regrets.
Barnier : Non. Si vous devenez célèbre, là, vous vivrez sur un regret : celui de ne pas m'avoir écouté. Je n'ai plus rien à ajouter, Jessica. Prenez vos responsabilités. Je vous aurai prévenue...
Zoom avant lent sur le visage de la jeune femme. Musique de fond.
Liège. Office de Police. Département de la Brigade judiciaire. Service des Moeurs. Bureau des Inspecteurs Lejeune et Leroy. Samedi 14 février. 5 heures 43.
Marc reste debout devant la grande baie vitrée du bureau ; il observe le calme matinal de la ville encore plongée dans la pénombre nocturne. Caroline est assise, les mains jointes devant sa bouche, les coudes posés sur le bureau.
Marc : Ce que j'ai vu tout à l'heure me rappelle...
Caroline : Mélanie... ?
Marc (moment de silence) : Oui.
Caroline : J'ai eu la même pensée que toi lorsque j'ai vu ces deux jeunes gens étendus sur le lit. Peu importe ce qu'ils sont ou ce qu'ils ont fait. Tout cela me dégoûte au plus haut point.
Marc : J'ai peur pour nous.
Caroline : Peur pour nous ? A propos de quoi ?
Marc : J'ai peur de me retrouver dans la même situation qu'eux.
Caroline : Nous n'avons rien à voir avec cette histoire, Marc. On fait juste notre enquête, point barre.
Marc : Je... Je ne parle pas de cette affaire, Caro. Je... Je parle de notre situation. J'en ai marre, tu comprends ? (Le ton devient colérique) Nous sommes tout le temps sur la défensive. Qu'attendent-ils pour nous éliminer, qu'on en finisse une bonne fois pour toutes ?!
Caroline (se lève et s'approche de Marc) : Ne dis pas ça, Marc. Ils ont peut-être leurs raisons. Ou peut-être ont-ils eu ce qu'ils voulaient ?
Marc : « Eu ce qu'ils voulaient ? » Tu plaisantes ? Ils savent qui nous sommes ! Et leur petit jeu est loin d'être terminé, crois-moi !
Caroline : Calme-toi. Essaie de penser à autre chose...
La jeune femme glisse lentement sa main dans le cou de Marc. Elle caresse sa nuque, effleure sa chevelure. Elle l'observe de son regard clair et envoûtant, lui sourit, cherchant à apaiser la peur justifiée d'une mort probablement imminente.
Caroline : On va s'en sortir...
Marc : Je l'espère, Caro... Je l'espère.
Avec sa main, Marc recouvre celle de Caro déposée sur son épaule. La caméra filme de l'extérieur le rapprochement intime des deux jeunes gens. Elle s'éloigne lentement, laissant apparaître le vaste bâtiment contemporain abritant les services de la brigade.
Un léger filet de lumière apparaît à l'horizon. L'aurore s'annonce dans le ciel dégagé de ce froid hivernal. Il est 05h47.