dimanche 10 mai 2009

EPISODE 25 : TRANSGRESSION (Partie 3)

Liège. Office de Police. Services de la Brigade judiciaire. Vendredi 6 mars. 15 heures 37.

La caméra s'approche lentement du visage de Marc, debout devant la fenêtre de son bureau.

Caroline (entrant dans le bureau) : Marc ?
Marc (se tourne vers Caroline) : Caro...
Caroline (observant Marc) : Tout va bien ? Tu as l'air pensif.

Marc se tait. Il regarde en direction de la fenêtre, tentant de se distraire en observant les moindres détails du paysage urbain présent sous ses yeux.

Marc (se tournant vers Caro) : ...
Caroline (s'approchant de Marc) : Que se passe-t-il ?
Marc : Tiens, regarde. (Il lui tend une lettre.)
Caroline : Qu'est-ce que c'est ?
Marc : Je pensais que nous étions tranquilles. Mais... Je me suis trompé.
Caroline : Trompé ?
Marc : Lis...
Caroline (déplie la lettre) : « L'aventure continue. Elle touche bientôt à sa fin. Soyez prêts. »
Marc : J'ai reçu cette lettre ce matin sur mon bureau.
Caroline (inquiète) : C'est pas vrai, ça recommence ! Je pensais que...
Marc : Tu pensais qu'on en serait quitte ! Et bien, non !
Caroline : Mais enfin, qui peut nous en vouloir à ce point ?
Marc : Je ne sais pas. Je n'arrive plus à réfléchir ! Et, de toute façon, je n'ai même plus envie de réfléchir !
Caroline (plaçant sa main sur son front) : J'en ai marre ! Ce n'est pas normal de se lever chaque matin avec la peur au ventre. Je... Je deviens folle ! Je n'en peux plus de cette situation ! Et... Et ce Barnier ! Que fait-il, bon sang ?! Je... Je suis au bout du rouleau, Marc ! Je craque !
Marc : Si au moins j'avais les moyens et le temps de régler ce problème...

Caroline se met à pleurer.

Marc : Caro... Viens, approche-toi.
Caroline (sanglote) : Il faut que tu fasses quelque chose, Marc. Je t'en prie...

La caméra opère un travelling avant lent sur les deux personnages. Marc l'enlace. Les bouches s'effleurent. Les regards se fixent. Marc pose ses mains sur le visage de Caroline. Un baiser finalise la scène.

Caroline : J'aimerais dormir chez toi ce soir.
Marc : Ce soir ?
Caroline : Oui, ce soir.
Marc : Tu sais bien que...
Caroline (pose son index sur les lèvres de Marc) : Chhuuut. Je sais bien, oui. Mais personne ne sera au courant.
Marc : Personne ne sera au courant ? Les autres savent que nous ne sommes pas insensibles l'un à l'autre. Ils se doutent déjà de ce qu'il y a entre nous deux !
Caroline : Et alors ? Tu crois qu'ils vont nous punir ? Ce n'est pas un péché à ce que je sache !
Marc : Nous avons signé un contrat, Caro. Ne l'oublie pas.
Caroline : Alors, tu ne veux pas que je vienne ce soir, c'est ça ?
Marc : Caroline... Je... Je meurs d'envie que tu viennes ce soir. Mais en même temps, j'ai peur de ce qui va se passer.
Caroline : Fais-moi confiance. Et puis, de toute façon, je n'ai plus la force de rester seule chez moi.
Marc : Il va falloir que nous prévenions les autres au sujet de cette lettre.
Caroline : Et Barnier aussi ! Il a de l'argent, lui. Alors, qu'il s'en serve pour nous protéger !
Marc : Ne rêve pas trop. Il ne fera rien. Il a trop de monde à protéger.
Caroline : Alors, puisque nous sommes en train de vivre nos derniers jours, qu'avons-nous à perdre, Marc ? Profitons du moment présent, sans nous soucier de ce qui arrivera demain.

Le regard inquiet, Marc caresse le visage de Caroline. Un fond musical mélancolique s'immisce dans la scène.

Marc : Tu as raison...

Caroline pose sa tête sur l'épaule du jeune homme.


Place Saint-Lambert. Archéoforum de Liège. Site de fouilles de l'époque médiévale. Vendredi 6 mars. 11 heures 09.

Une voix : Sur votre gauche, vous pouvez apercevoir le mur de fondation de la cathédrale notgérienne. L'évêque Notger l'a construite sur le lieu même des anciens sanctuaires aux alentours de l'an 1000. Cette cathédrale, ou plutôt ce qu'il en reste, a été dédicacée quelques années après sa mort.

La caméra s'avance lentement dans un des nombreux couloirs du site archéologique, comparable à une fourmilière. La voix qui résonne dans cette immense galerie souterraine est celle d'un éminent archéologue, le Professeur Halloy, promoteur de la thèse que rédige depuis bientôt deux ans Lionel.

Lionel : A-t-on retrouvé des éléments intéressants, outre les murs de fondation ?
Pr Halloy : Des « éléments intéressants » ? Bien sûr ! Nous n'avons que ça ici, des « éléments intéressants » !
Lionel : Quels genres d'éléments ?
Pr Halloy : Des vases en terre cuite. Ce n'est pas grand-chose aux yeux de monsieur et madame Tout-le-monde, mais ce sont des découvertes importantes pour comprendre l'époque de Notger.
Lionel : J'aimerais vous poser une question un peu surprenante.
Pr Halloy : J'adore les questions surprenantes ; quand elles n'ont pas encore de réponse toute faite, elles permettent de mettre un peu de piment dans nos recherches !
Lionel : Notger, en tant qu'évêque, n'a jamais eu de descendance ?
Pr Halloy : Votre question est pertinente car il est vrai que certains évêques, en devenant princes de Liège, se sont retrouvés avec une descendance officielle, et parfois même non officielle. Mais Notger était un véritable moine, qui respectait les principes de saint Benoît, ceux-là même qu'on rassemble sous le nom de « règle de saint Benoît », et que tous les bénédictins se doivent de mettre en pratique au quotidien. Chasteté, spiritualité, fraternité, labeur...
Lionel : Avez-vous déjà entendu parlé de Maxence de Saint-Lambert ?
Pr Halloy : Maxence de Saint-Lambert ? Aussi surprenant que cela puisse paraître, non ! D'où tirez-vous ce nom ?
Lionel : J'ai découvert un vieil ouvrage de cet auteur, datant de la fin du XVIIIe (18e) siècle. Il y parle d'une société secrète régie par une partie de l'aristocratie liégeoise.
Pr Halloy : Une société secrète ? Je n'ai jamais entendu parler d'une sociète secrète dans l'aristocratie liégeoise. Et que raconte ce livre ?
Lionel : Il y aurait eu, dès l'époque médiévale, l'existence d'un groupement anarchique composé d'aristocrates victimes de trahisons politiques. Ils se seraient alors constitués en société secrète.
Pr Halloy : Une noblesse déchue de ses droits, en quelque sorte ? Ah ah, je n'arrive pas à le croire.
Lionel : Vous feriez bien de le croire, pourtant. Mais le comble de cette histoire est que la véritable noblesse n'aurait pas été celle que l'on a toujours crue authentique.
Pr Halloy : Que voulez-vous dire ?
Lionel : Certains aristocrates n'auraient pas dû porter de particule nobiliaire. D'après Maxence de Saint-Lambert, une famille, du nom de « Leodiensis », dont les premières traces remontent au IXe siècle, auraient eu le pouvoir sur le territoire de Liège. Cette famille possédait également des milliers d'hectares de terres sur tout le pourtour de la vallée liégeoise.
Pr Halloy : Attendez, c'est une plaisanterie ce que vous me racontez ! C'est du grand n'importe quoi ! Aucun historien à ce jour n'a mentionné cette famille ! Vous divaguez complètement !
Lionel : Non, attendez ! Laissez-moi continuer...
Pr Halloy (vexé) : Vous êtes en train de refaire l'Histoire de Liège, sur base d'un seul ouvrage ! Où est donc passée votre rigueur scientifique, jeune homme ? Le seul médiéviste accompli dans cette ville, c'est moi ! Et que vois-je ? Un thésard de la dernière heure qui ose me refaire le passé de Liège ?
Lionel : Lorsque Notger a pris le pouvoir, il a constitué un nouveau régime politique basé sur le principe de l'Eglise impériale.
Pr Halloy : Oui, et alors ? Où voulez-vous en venir ?
Lionel : Liège n'aurait jamais dû être une principauté ecclésiastique. Elle n'aurait jamais dû être tenue par des princes-évêques. Le véritable pouvoir devait revenir à la descendance des Leodiensis !
Pr Halloy : Mais qu'est-ce que...
Lionel : Les Leodiensis ont vécu sous de fausses identités. Ils étaient recherchés par des ecclésiastiques et des aristocrates qui voulaient se partager les terres fertiles de Liège et dissimuler l'existence de cette famille.
Pr Halloy : Je... Je ne peux pas vous croire... Il me faut des preuves !
Lionel : Des preuves ?
Pr Halloy : Oui, des preuves ! Je veux des documents, des objets, des références d'ouvrages RIGOUREUX qui certifient vos dires ! Vous ne pouvez pas présenter les choses de la sorte, vous comprenez ? Je travaille depuis plus de trente ans à l'Institut de Recherches médiévales. Il n'a jamais été fait mention de... De cette famille Leodiensis !
Lionel : La vérité est qu'en réalité, je vous surprends avec cette découverte, découverte que vous n'avez pas faite.
Pr Halloy : Apportez-moi des preuves et nous pourrons discuter. En attendant...
Lionel : Attendez, vous voulez une preuve ? J'en ai une ! Maxence de Saint-Lambert est un descendant des Leodiensis. « de Saint-Lambert » est un nom purement inventé. Maxence de Saint-Lambert s'appelait en vérité « Jehan Maximus Leodiensis ».
Pr Halloy : Vous me parlez de preuve mais là, vous n'avez que votre parole. Je ne peux donc pas la considérer comme une preuve. Apportez-moi la généalogie de ce Jehan Leodiensis. Je parie que vous ne l'avez même pas !
Lionel : Détrompez-vous... J'ai tout ce qu'il faut pour vous surprendre davantage.
Pr Halloy : A vous entendre, l'Histoire de Liège ne serait qu'une vaste supercherie ! Nous sommes donc des spécialistes d'une vaste, sinon de la plus grande, supercherie de l'histoire de l'Europe.
Lionel : Je n'ai pas dit ça. J'aime Liège et son histoire. Mais il faut remettre les choses à leur place. Une famille a été bafouée. Des descendants ont vécu dans la misère et l'exclusion sociales. Et aujourd'hui il existe peut-être des Liégeois qui devraient reprendre leur part du gâteau...
Pr Halloy : Leur part du gâteau ?
Lionel : Vous comprendrez bientôt... Excusez-moi, j'ai du travail pour cet après-midi. J'ai des preuves à chercher ! Je vous laisse.
Pr Halloy : Attendez, je devais vous montrer le reste des collect...
Lionel (interrompant le professeur) : Remettons ça à plus tard...

La caméra filme Lionel s'éloignant dans les galeries à peine éclairées. Une autre caméra se fixe ensuite sur le regard interrogateur du professeur. Dans une console vitrée exposant de vieux documents, une carte géographique aux bords usés par de nombreuses manipulations est filmée en travelling avant lent. Le Professeur Halloy s'avance pour observer ce papier jauni par le temps. Au-dessus du dessin schématique représentant la cité de Liège au VIIIe (8e) siècle, un intitulé : « Leodiensis Domina »...