samedi 11 avril 2009

EPISODE 21 : LE VICE ET LA VERTU (Partie 7)

Gelinden (province flamande du Limbourg). A trente kilomètres au nord-ouest de Liège. « Le Club » (une maison close récemment construite et bordant la route nationale 3). Lundi 16 février. 19 heures 46.

La caméra avance lentement dans le salon principal de la villa. Un homme en costume noir est étendu dans un canapé de velours aux couleurs léopard. Deux jeunes filles, vêtues chacune d'un body rouge vif et de bas nylon noirs, préparent des coupes de champagne sur le plan d'un comptoir. Une musique rythmée se faufile discrètement dans toutes les pièces du rez-de-chaussée. L'ambiance feutrée est colorée par une boule multifaçettes suspendue au plafond, évoquant l'atmosphère faussement vieillie des « disco dancefloors ».

L'homme (éméché) : Dépêchez-vous, les filles ! Je ne tiens plus !
Inge (avec un accent flamand) : Soyez patient, Monsieur Jean-Claude. No stress !

Les deux femmes, avoisinant la trentaine, rejoignent le client dans le divan.

Lara (avec un sourire coquin, lui tend une coupe de champagne) : Alors Monsieur Jean-Claude, on est prêt pour l'aventure ?
L'homme : Mmmmm... Avec deux jeunes femmes aussi délicieuses que vous, comment ne pas être prêt ? Vous êtes si... Comment dire...
Inge : Si... ?
L'homme : Délicieuses. Enivrantes... Excitantes...

Lara enlace de son bras droit le client tout en couvrant son visage de baisers délicats, tandis qu'Inge masse de sa fine main sa jambe épaisse et musclée.

Soudain, le portable de Jean-Claude sonne. Celui-ci se retire brusquement du canapé, repoussant les gestes langoureux de ses deux « admiratrices » d'un soir.

Jean-Claude (se dirigeant vers son veston déposé sur un siège) : Je parie que c'est encore Carlo ! Jamais tranquille !!
Inge (chuchote en regardant Lara) : Carlo ?

Lara hausse ses épaules et ses mains en fixant Inge du coin de l'oeil.

Jean-Claude (le GSM collé à l'oreille) : Allô, Bailey ?
Bailey : Jean-Claude ! J'ai pas le temps de tourner autour du pot. Il est arrivé quelque chose de grave... Carlo... Carlo est mort !
Jean-Claude (surpris) : Par... Pardon ? Que... ? J'ai pas bien entendu, là !
Bailey : Carlo vient d'être assassiné ! Chez lui, dans sa villa ! Faut que tu viennes !
Jean-Claude : Carlo est mort ?! Mais...
Bailey : Franck l'a retrouvé le crâne défoncé dans son bureau, chez lui, à Neupré. T'es où là ?
Jean-Claude (confus) : Heu, là, en fait, je... Je suis chez des amis !
Bailey : Ben va falloir que tu te débrouilles pour les quitter parce qu'on va avoir besoin de toi ! Préviens Bart, j'appelle Pino. OK ?
Jean-Claude : D'accord. Je... Je serai là dans une vingtaine de minutes.
Bailey : Parfait ! A toute !
Jean-Claude : Oui, c'est ça... A toute.

Anéanti, Jean-Claude éteint son portable et s'adresse aux deux prostituées.

Jean-Claude (en prenant son veston) : Mes charmantes demoiselles, je vais devoir vous laisser. Je... Je ne peux pas rester.

Inge et Lara, surprises par le ton grave de Jean-Claude, se regardent l'une l'autre.

Inge : Que se passe-t-il, Jean-Claude ?
Jean-Claude : Rien... (En sortant du salon, il s'arrête devant elles, leur tendant un billet de cinquante euros). Tenez, c'est pour vous.
Inge et Lara : Merci.
Jean-Claude : A bientôt peut-être.
Inge : Tu es sûr que ça va ?
Jean-Claude : Ne vous en faites pas. J'en ai vu d'autres.

Plan suivant. La caméra filme Jean-Claude entrant dans sa Mercedes SLK. Il s'installe dans le siège, fixe droit devant lui et se met subitement à hurler.

Jean-Claude : MERDE ! MERDE ! MERDE !

Il démarre en trombe. La caméra le suit dans son démarrage et revient ensuite sur la façade de la villa dont l'entrée est finement éclairée par les néons violacés formant le nom du bar.

Scène suivante. Liège. Institut des Sciences archéologiques. Auditoire 7. Cours de sociologie historique. Mardi 24 février. 14H36.

Travelling avant lent sur la façade néoclassique du bâtiment bordant la Meuse.

Voix off (celle de Lionel Derechain) : ... L'Ancien Régime s'est alors transformé en un Nouveau Régime politique, qui, dès le départ, a favorisé la bourgeoisie. Car, de toute évidence, il s'agissait de leur combat, un combat bien éloigné des préoccupations de la paysannerie.

Travelling avant lent sur la vaste salle de l'auditoire 7. Une soixantaine d'étudiants éparpillés dans le petit hémicycle écoutent attentivement les propos du jeune scientifique.

Lionel : La majeure partie de la population française n'a jamais pu tirer profit de ce changement radical. Les philosophes des Lumières ont suscité à leur façon la révolution politique mais, malgré une « Déclaration des Droits du citoyen » respectueuse de la dignité humaine et de l'égalité, celle-ci s'est rapidement révélée « édulcorée » à l'excès car les Lumières n'ont jamais tenu compte de la misère dans laquelle se trouvait le peuple.

Un étudiant (levant la main) : Est-il vrai que les Lumières étaient étroitement liés à la franc-maçonnerie ? Cela pourrait expliquer la substitution de l'élite cléricale et aristocratique par une élite bourgeoise et intellectuelle...
Lionel : Les historiens ont analysé un grand nombre de sources relatives à la franc-maçonnerie. Il est apparu dès le départ – dès l'apparition des Lumières donc – que les Francs-maçons étaient liés à la philosophie des Lumières. On serait même en droit d'affirmer que la franc-maçonnerie est un résultat de la philosophie des Lumières, même si elle existait déjà en Irlande et en Ecosse dans les siècles précédents.
Une étudiante : Et les Illuminati, ont-ils un lien avec les Lumières ?
Lionel : Les Illuminati proviennent d'Allemagne. Adam Weishaupt, un ancien jésuite, en aurait été l'initiateur dans la seconde moitié du XVIIIe (18e) siècle mais rien ne permet d'affirmer aujourd'hui que les Lumières et les Illuminati étaient liés. N'entrons pas dans des discours ou des pensées paranoïaques ; elles empêchent la science d'avancer.

Une sonnerie retentit, indiquant la fin du cours.

Lionel : Bien, nous reprendrons le fil de cette discussion la semaine prochaine. N'oubliez pas vos comptes rendus pour la fin de ce mois.

Les étudiants quittent la salle en échangeant quelques mots, tandis que Lionel interpelle une demoiselle.

Lionel : Alicia, j'aimerais vous voir, s'il vous plaît.
Alicia : Maintenant ?
Lionel : Oui. Si c'est possible pour vous ?
Alicia : Heu... Oui. Oui, pas de souci.
Lionel : Nous allons aller dans mon bureau.
Alicia : D'accord.

Scène suivante. Lionel et Alicia se dirigent vers le bureau.

Lionel : Vous avez fait un excellent travail la semaine dernière. J'ai fort apprécié votre présentation.
Alicia : Merci, c'est gentil.

Le jeune « professeur » introduit sa clé dans la serrure de la porte de son bureau. Plan suivant : il s'installe à son bureau.

Lionel : Asseyez-vous, je vous prie.
Alicia (s'exécute) : Merci.
Lionel : Bien, si je vous ai demandé un peu de votre temps, c'est pour une raison très simple. Je sais que vous êtes passionnée par les thèmes que j'aborde dans mon cours de sociologie. Je sais aussi que vous êtes très motivée pour réussir votre master.
Alicia : Ce n'est pas faux.
Lionel : J'ai besoin d'aide pour une recherche, une petite recherche qui pourrait s'avérer fructueuse si vous l'accomplissez dans les règles de l'art.
Alicia : De quel genre de recherche s'agit-il ?
Lionel (sortant de sa mallette de cuir noir un livre à la reliure usée) : Voici un ouvrage qui, selon les dires d'un ami archéologue et historien, n'existerait qu'en deux seuls exemplaires.
Alicia : En deux exemplaires seulement ? C'est plutôt rare !
Lionel (tendant l'ouvrage à la demoiselle) : Pas nécessairement mais celui-ci est un cas particulier. Tenez, jetez-y un coup d'oeil.

La demoiselle caresse la couverture cartonnée du livre. Elle ouvre délicatement celui-ci puis tourne lentement les pages, admirant la beauté du graphisme des lettres imprimées.

Alicia : C'est un papier à gros grain. C'est du XVIIIe siècle, n'est-ce pas ?
Lionel : Oui, c'est du XVIIIe siècle, en effet. Ecrit dans le français typique de l'époque.
Alicia : De quoi parle ce livre ?
Lionel : Il parle de l'aristocratie liégeoise. Ce livre a été interdit par la noblesse elle-même. Je l'ai lu et j'avoue que je suis assez perturbé par les informations capitales contenues dans ce livre.
Alicia : Vous devez sans doute connaître maintenant la raison de son interdiction...
Lionel : Oui. L'auteur, Maxence de Saint-Lambert, y révèle l'existence d'une société secrète à Liège, une société entièrement contrôlée par la noblesse de l'époque.
Alicia : Nous revoilà dans le sujet de la franc-maçonnerie !
Lionel : La franc-maçonnerie n'a aucun lien avec ce livre mais la société secrète mentionnée dans celui-ci répond aux critères définissant habituellement ce genre de groupe social.
Alicia : Ce groupe a une visée philosophique ou culturelle ?
Lionel : Non, l'intérêt de cette société serait plutôt financier et patrimonial.
Alicia : Pour revenir à ma question de départ, quel genre de recherche aimeriez-vous que j'effectue ?
Lionel : Votre thèse de maîtrise porte sur la noblesse belge au XVIIIe siècle. Vous fréquentez donc pas mal de centres de documentation. J'aimerais qu'à l'occasion, vous effectuiez une recherche bibliographique sur cette société secrète. Relevez tous les ouvrages qui évoqueraient son existence. Je sais que ce genre de service est fastidieux mais si vous ne vous en sentez pas capable ou si vous pensez ne pas pouvoir satisfaire ma demande pour telle ou telle raison, je comprendrais.
Alicia : Je suis prête à relever ce défi. Je n'ai que trois examens à passer cette année et le mémoire avance bien. Vous pouvez compter sur moi.
Lionel : Il est possible que vous ne trouviez aucun livre traitant de ce groupement. De mon côté, je vais effectuer mes propres recherches puisqu'elles concernent ma thèse de doctorat.
Alicia : Bien.
Lionel : Je dois vous laisser à présent. Merci pour votre collaboration.
Alicia (en se levant) : Et merci à vous pour votre confiance.

Lionel s'exclame : Oh heu... Surtout, évitez de parler de tout ceci aux autres. Aucune des conversations que nous aurons, vous et moi, ne doit passer cette porte !
Alicia : Pas de souci. Vous pouvez me faire confiance...