samedi 4 avril 2009

EPISODE 20 : LE VICE ET LA VERTU (Partie 6)

Bois de Rognac. Lundi 16 février. 19 heures 28.

Une berline zigzague entre des îlots de signalisation disposés en alternance le long de la chaussée. Arrivée au bout d'une impasse, elle s'arrête brusquement devant la villa de Fellini. Franck, son conducteur, sort de la voiture. Le pas lent et hésitant, il observe la façade éclairée de la résidence. Le regard inquiet, il s'avance, pousse une grille et s'approche de la porte d'entrée. Il appuie sur le bouton du parlophone. Les secondes s'écoulent. L'appareil ne laisse pour seule réponse qu'un silence. Lourd. Pesant. Il se dirige alors vers la double porte-fenêtre donnant sur le living. La pièce est éclairée mais les ondulations des rideaux empêchent de distinguer toute présence humaine. La luminosité variante de l'écran de télévision et les vagues sons des dialogues d'un film captent l'attention de Franck. Il poursuit alors le chemin de gravier menant à la terrasse arrière. La porte de la cuisine est entrouverte. Le cercle découpé sur la vitre ne laisse plus aucun doute à Franck. Il sort une arme de gros calibre et pénètre à l'intérieur de l'habitation. Un film diffusé à l'écran attire son attention. Il rejoint alors le salon feutré, délaissé dans son triste confort.

-J'aimerais vous faire comprendre que la vertu est loin d'être naturelle, Monsieur Fergusson. Les humains ont une soif de pouvoir et de liberté telle qu e, très vite, ils ont été obligés d'inventer des règles de savoir-vivre envers leurs semblables.
-Je sais que l'Homme est mu par le vice, Docteur Fehlder. Le propre de l'être humain est de se dévoyer. La morale est fastidieuse, éreintante, pour nos esprits avides de souplesse relationnelle. La confrontation à l'Autre est une épreuve qui marque toujours, nous conduisant tout droit vers la névrose.
-Nous sommes tous des névrosés. Mais nous sommes suffisamment armés pour pallier les effets de cette névrose.

Franck abandonne le dialogue du long métrage. L'arme en guise de protection, Franck appelle à trois reprises Carlo. Les couloirs sombres se croisent, se rejoignent, rendant la quête confuse et l'atmosphère lugubre.

Franck : Carlo... Tu es là ?

La réponse se fait attendre.

Franck : Carlo, réponds-moi s'il te plaît !

Le son de la télévision offre progressivement sa place à une musique aux tonalités macabres. Chaque pièce de la maison est scrupuleusement visitée. Mais la présence de Carlo fait défaut. Franck sait que ses déplacements calculés vont le mener tout droit à une découverte. Mais quoi ? Et où ? Peut-être au premier étage ?

La caméra filme en plan rapproché les souliers cirés montant les vingt-et-une marches de l'escalier en chêne sombre.

Franck : Carlo ? Je sais que tu es là...

Au bout du couloir, une faible luminosité laisse supposer la présence de Carlo. Une mélodie mielleuse résonne. Elvis Costello sans doute. Du pur jazz sorti tout droit des petits bars new yorkais de la 5th Avenue.

Chaque pas est délicatement posé sur la moquette. La discrétion doit être la règle. Si Carlo est là, il n'est peut-être pas seul. Franck arrive à hauteur de la porte légèrement entrouverte. Avec sa main droite, il écarte celle-ci. L'horreur s'offre en spectacle. Franck découvre Carlo, égorgé, gisant dans une marre de sang. Les rotules sont explosées, tout comme le crâne, sur lequel visiblement le tueur s'est acharné sans état d'âme.

Franck : Nom de Dieu ! Carlo !

Franck se précipite dans le cabinet de toilette. Le bruit des vomissements étouffe quelques secondes le son entraînant de la mélodie diffusée par le lecteur CD. L'homme revient dans le couloir.

Franck : Carlo... Il... Il faut que j'appelle la police... Non... Non, non. Je ne dois pas appeler la police. Surtout pas. Merde... MERDE !

L'angoisse oblige Franck à modérer sa réaction. S'il prévient la police, celle-ci amorcera une enquête qui pourrait mettre à mal l'équipe de Fellini.

Franck se précipite dans les escaliers pour rejoindre le rez-de-chaussée. Il sort de la villa par la porte principale et court s'abriter dans la voiture. La pluie se fait toujours insistante. L'orage n'est pas loin. Des éclairs l'annoncent, accompagnés de leurs grondements étouffés.

Essoufflé, il essaie de composer le numéro de portable d'un de ses « collègues ». Nerveux, il s'y prend à plusieurs reprises avant de tomber sur les coordonnées de son destinataire.

Franck : Bailey... Réponds-moi... Vite !

Les bips passent. Bailey ne répond pas. Soudain...

Bailey : Allô, Franck ?
Franck : Bailey... Je... (Moment de silence)
Bailey : Franck ? Que se passe-t-il ?
Franck : Je... Je suis chez Carlo...
Bailey : Tu es chez Carlo ? Et ?
Franck : Il s'est passé quelque chose de grave. Je... Je ne sais pas ce que ce que je dois faire.
Bailey : Quoi ? Que s'est-il passé, Franck ?
Franck : J'étais en conversation avec lui tout à l'heure au téléphone et, subitement, la discussion a été interrompue. Je me suis demandé ce qui se passait. J'ai réessayé de joindre Carlo mais... Il ne répondait pas.
Bailey : Mais il y avait quelqu'un d'autre avec lui ?
Franck : Je... Je pense que oui. Alors je suis venu sur place. Et... La porte à l'arrière de la villa était fracturée. Je suis entré et c'est en montant au premier étage que j'ai vu Carlo... Le... Oh mon Dieu, c'est horrible !
Bailey : Franck, calme-toi, s'il te plaît... Reprends tes esprits. Et explique-moi.
Franck : Son crâne... Complètement ouvert.
Bailey : ... Merde.
Franck : Qu'est-ce qu'on va faire ?
Bailey : Il ne faut surtout pas prévenir la police. Ce serait risqué pour nous. Il va falloir se débarrasser du corps.
Franck : Se débarrasser du corps ? Tu plaisantes, j'espère ? Comment veux-tu qu'on...
Bailey : Hey... Il faut qu'on se débarrasse a-bso-lu-ment du corps, tu m'entends, Franck ? Il faut qu'on nettoie tout ! Tout doit être nickel dans les plus brefs délais. Personne ne doit savoir que Carlo habitait là !
Franck : Je... Je dois t'attendre ici alors ?
Bailey : Attends-moi. J'arrive. Je serai là dans une demi-heure.

Un bip annonçant la fin de la conversation laisse place au silence ; un silence factice, vite comblé par le frappement de la pluie sur le pare-brise de la berline.

La caméra monte dans un mouvement oblique. Le quartier aux demeures entretenues se découvre alors dans son labyrinthe de ruelles asphaltées et de parterres dégarnis.


Liège Nord. Centre de détention. Mercredi 18 février.

Travelling avant lent sur la façade du vaste bâtiment dont l'enceinte murale est protégée en hauteur par des épais grillages de fils barbelés.


Barnier : Arnaud... J'essaie de faire le maximum pour toi. Crois-le.
Arnaud (derrière la vitre de protection) : Ils refusent votre argent, n'est-ce pas ?
Barnier : Disons qu'ils préfèrent les procédures « normales », si tu vois de quoi je veux parler.
Arnaud : Je n'ai pas envie de rester ici une semaine de plus. Je n'ai pas mérité ça !
Barnier : Je sais. Je sais que tu n'as pas mérité ça. Le juge d'instruction fait son travail. Mais il pense que tu ne resteras pas.
Arnaud : Vous croyez qu'il se doute de quelque chose ?
Barnier : Il faut être vigilant à ce niveau-là, Arnaud. Personne n'est au courant. Mais reste prudent. Ne te laisse pas manipuler par les questions des enquêteurs.
Arnaud : Ils veulent absolument savoir d'où vient l'arme. Quand je leur dis que c'est la vôtre, ils trouvent ça louche !
Barnier : Peu importe ce qu'ils pensent. Tu as dit la vérité, c'est l'essentiel.
Arnaud : Pourquoi ne reconnaissent-ils pas la légitime défense ?!
Barnier : Le problème, c'est qu'il faut parvenir à démontrer que tu étais menacé. Et ça, c'est le noeud du problème.
Arnaud : Mais il nous a réellement menacés ! Comment aurais-je pu agir de la sorte alors ?
Barnier : Tu n'es pas le premier à empatir de cette situation. Et tu ne seras pas le dernier ! Mais surtout, je te le répète : prudence avec les enquêteurs et le juge. Ce sont des habitués ! On ne leur joue pas facilement la comédie.
Arnaud : Je sais, Monsieur Barnier. Je sais comment je dois me comporter avec eux.
Barnier : Sarah te remet son bonjour. Elle pense beaucoup à toi.
Arnaud : ... (Moment de silence. Le regard baisse.)
Barnier : Elle te manque, n'est-ce pas ?
Arnaud : Oui... Enormément...
Barnier : Elle est déjà venue te voir ?
Arnaud : Oui mais... Il lui est difficile de venir. Je la vois trop peu à mon goût.
Barnier : Je comprends...
Arnaud : J'ai peur qu'elle ne me quitte, Monsieur Barnier. Comment pourrait-elle continuer à sortir avec un criminel.
Barnier : Arnaud... Tu n'es pas un criminel. Mets-toi bien ça dans ta petite tête ! Quant à Sarah, je suis sûr qu'elle comprendra. Fais-lui confiance.

Arnaud baisse son regard. La caméra se fixe ensuite sur les yeux de Barnier. De profondes rides dessinent son visage.

Arnaud : Dites-lui... (Moment de silence) Dites-lui que je l'aime.
Barnier : Je n'y manquerai pas. Je dois te laisser. Tiens bon.
Arnaud : Faites le maximum. Je perds mon temps ici, vous le savez.
Barnier : Compte sur moi.

Le vieil homme se lève de son siège. Il regagne la sortie du parloir. Un gardien enjoint Arnaud de laisser sa place à un autre détenu.

Une musique mélancolique termine la scène.